(Le Monde 12/12/2011)
Enquête
Youssou N'Dour, candidat à la présidence du Sénégal en 2012 ? L'idée a fait l'effet d'une bombe à Dakar, le 5 décembre, lorsque le chanteur a donné une conférence de presse pour l'ouverture des locaux de son mouvement, Fekké Maci Bole (littéralement "C'est parce que je suis témoin, que je participe"). A travers ce mouvement, Youssou N'Dour compte peser dans les élections du 26 février 2012.
Le roi du mbalax a annoncé qu'il mettait sa carrière entre parenthèses à partir du 2 janvier 2012 pour se consacrer à la politique, laissant planer le doute sur sa candidature. Le 9 décembre, son avocat retirait bien à la direction générale des élections le document nécessaire à son inscription, mais l'entourage du chanteur affirme aujourd'hui que la star ne s'est pas encore décidée.
Youssou N'Dour a beau être un homme d'affaires avisé, connaissant les arcanes du pouvoir, de là à se lancer dans l'arène politique, il y a un pas à franchir. Sa popularité risque d'être fort mise à mal : "Il sera traité de la même manière que tous les autres candidats", prévient Fou Malade, 37 ans, membre du mouvement, Y'en a marre.
Depuis janvier, ce collectif constitué de rappeurs (Keur Gui, Simon, Fou Malade, 5kieme Underground, Xuman...) et du journaliste de La Gazette Cheikh Fadel Barro a lancé sa campagne, appelée "électo-rap". Y'en a marre a d'abord appelé à manifester le 19 mars, date anniversaire de l'alternance au Sénégal après quarante ans de socialisme, a milité pour que les jeunes s'inscrivent sur les listes électorales, comptabilisant 357 000 nouveaux électeurs, et a participé activement à la manifestation du 23 juin devant l'Assemblée nationale.
Cette manifestation a fait reculer le président actuel, Abdoulaye Wade, qui voulait modifier la Constitution pour pouvoir se présenter à un troisième mandat aux côtés de son fils Karim. C'est lors de ces événements que Y'en a marre s'est fait connaître de tout le Sénégal. Deux de ses rappeurs, Fou Malade et Thiat, du groupe Keur Gui, étaient arrêtés pendant un sit-in, et un troisième, Simon, tabassé au commissariat, pour avoir demandé leur libération : "En sortant", raconte ce Dakarois de 32 ans qui a fait ses études en France, "je n'ai pas porté plainte contre les policiers. Mais je l'ai fait de manière symbolique, en diffusant sur Internet une vidéo où je montrais mes hématomes : je voulais que les Sénégalais sachent qu'il y avait une nouvelle jeunesse qui était prête à prendre des coups pour qu'on ne touche pas à la Constitution." Wade a bien essayé de contrecarrer Y'en a marre en finançant d'autres rappeurs : les seconds couteaux Requin, Pacotille... mais rien n'y fait.
Le 20 décembre prochain, les rappeurs du collectif enfoncent le clou et diffusent au Sénégal leur compilation Y'en a Marre, dont un des titres phares, Faut pas forcer, demande à nouveau à Abdoulaye Wade de ne pas se présenter. Leur mouvement, que les rappeurs disent apolitique, veut, selon Fou Malade, "replacer le citoyen au coeur des décisions, l'intéresser à la chose publique. Y'en a marre, c'est une force de pression populaire, une sentinelle. Nous avons élu Wade en 2000 mais nous ne l'avons pas surveillé pour le programme pour lequel nous l'avons élu."
Les textes de la compilation parlent du coût de la vie, des coupures d'électricité, et prônent, dit Fou Malade, "le nouveau type de Sénégalais". Comme lui, Xuman, rappeur aussi de la première génération, avait appelé au vote en 2000 pour Abdoulaye Wade : "C'est à cause de nous, les rappeurs et les radios libres, s'il a été élu, se flagelle ce grand rasta. J'étais très enthousiaste, au début. Les critiques sont venues tardivement. Je ne regrette pas de l'avoir soutenu, juste de ne pas avoir répondu à nos attentes. Il faut reconnaître à Wade la libéralisation de la presse, de nouvelles constructions d'hôpitaux, d'universités, de routes, mais à côté de ça, il a une gestion catastrophique des délestages électriques, des inondations, des finances. Il a rendu une élite très riche en un laps de temps très court."
Simon reproche aussi au système Wade son utilisation du "pouvoir maraboutique" : "Ici, il y a des confréries qui ont des millions de fidèles, explique le rappeur. Le pouvoir utilise ces familles religieuses pour qu'elles donnent des consignes de vote à coup de mallettes d'argent, de privilèges, de passeports donnés à leurs enfants... J'estime que les relations que je peux avoir avec mon marabout se limitent à ma spiritualité. Il n'a pas à intervenir dans ma vie matérielle ou citoyenne." Les "Y'en a marristes", comme on les appelle dorénavant à Dakar, s'abstiennent bien d'ailleurs de donner des consignes, mais veulent que les Sénégalais votent en toute liberté et en conscience, pas parce que le candidat a le soutien de son marabout, ou parce qu'il est un chanteur populaire.
Stéphanie Binet
12.12.11
14h36 • Mis à jour le 12.12.11
14h38
Article paru dans l'édition du 13.12.11
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