(Courrier International 20/12/2011)
Ce 20 décembre est le dixième anniversaire de la mort de Léopold Sédar Senghor – poète, premier président du Sénégal, académicien. Tandis que son pays commémore sa mémoire, le poète Amadou Lamine Sall, qui fut très proche de Senghor, rend hommage à son maître.Léopold Sédar Senghor, premier président de la république du Sénégal, poète, grammairien et premier Africain admis à l'Académie française.
Pour moi, il est difficile de parler normalement de Senghor. Parler de lui, c’est toujours avoir un tête-à-tête magique avec un homme multidimensionnel. Il y a Léopold, il y a Sédar, il y a Senghor. Au poète se sont ajoutés le professeur, puis le penseur, puis l’homme d’Etat, puis l’académicien. Au carrefour s’est retrouvé l’humaniste total. Je n’oublie pas le prisonnier de guerre et l’ancien combattant, le critique littéraire et le critique d’art. De tous ces personnages, Sédar voulait que l’on retienne de lui le poète. Il a toujours préféré le poète au politique. La meilleure preuve : sa démission volontaire [de la présidence de la république du Sénégal], le 31 décembre 1980, pour enfin consacrer le reste de sa vie à la poésie, en un mot : à la culture. Pour Senghor, en effet, la culture a toujours été une exigence dans la permanence. La politique, un temps d’urgence qui passe. La politique n’est pas un métier. C’est un mandat. Sédar nous a appris à le méditer.
En choisissant la culture et l’éloge obsédant du culte de l’esprit, Senghor nous apprend qu’il n'y a pas de pays sous-développés, mais seulement des femmes et des hommes sous-développés, c'est-à-dire sans culture et sans éducation. C’est avec cette certitude qu’il a bâti le Sénégal. C’est avec cette vision qu’il a porté loin et installé un petit pays comme le Sénégal dans le cœur de tant de peuples dans le monde.
Senghor avait compris que l’investissement sur l’esprit et les valeurs était le meilleur investissement économique de notre civilisation, un investissement par ailleurs en osmose avec l’épanouissement de l’esprit scientifique. "Je veux l’Afrique, mais je ne combattrai pas la machine [la modernité occidentale], car elle seule vaincra la misère", affirmait-il.
Sédar est un visa pour tout Africain, au-delà même du Sénégalais. Il doit être lu, car son œuvre est une œuvre qui apaise le monde. C’est une œuvre de symbiose et de synthèse. C’est une œuvre qui réconcilie et non qui divise. Elle doit être lue parce qu’elle apporte une réponse aux angoisses et aux folies de notre temps.
L’héritage que nous a laissé Senghor est une clé aux impasses de notre temps.
Il est bon qu’une génération ait des repères. Senghor en est un. Il n’est pas derrière nous. Il nous précède. Bien sûr, ce Sérère [ethnie du Sénégal] hors normes n’a pas tout réussi. Il le confesse lui-même : "Il n'y a que Dieu pour tout réussir." Bâtisseur et architecte d’hommes dont l’éthique et la morale dans l’excellence sont les piliers fondateurs, Senghor fut aussi un passeur de civilisation.
A ses côtés, j’ai appris deux choses : la patience dans le travail et l’humilité. Il fut pour moi, une leçon incarnée de sagesse et de lumière.
Ce sont des poètes comme Senghor qui ont balisé la voie des indépendances aux politiques. Ce sont des hommes comme Senghor, théoricien et acteur, qui ont créé les concepts, les idéologies fédératrices, les courants de pensée à partir desquels les intellectuels africains et de la diaspora ont prospéré dans leur combat contre le colonialisme, surtout contre l’aliénation, car l’aliénation la plus terrible, la plus durable, la plus pernicieuse est celle de l’esprit.
Senghor nous a libérés du complexe colonial. Mieux : il a donné notre culture en exemple aux autres cultures du monde. C’est cela, la véritable négritude qu’il défendait. Il m’a d’ailleurs semblé que depuis que Senghor s’est tu, la communauté intellectuelle africaine s’est également tue, comme si Sédar était le moteur de leur inspiration.
La grande leçon de Senghor est que nous devons, toujours et en tout temps, veiller sur ce que nous sommes et devenir ce que nous sommes dans ce qui existe de mieux dans nos cultures et valeurs.
Il nous apprend, en un mot, à nous "brancher" sur le monde, mais aussi et surtout à ne jamais nous "débrancher" de nous-mêmes, de nos cultures, de nos valeurs, de nos repères.
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AMADOU LAMINE SALL L'héritier préféré
Entre Léopold Sédar Senghor et le jeune Amadou Lamine Sall, ce fut le coup foudre au début des années 1970. Senghor a dit de Sall "qu’il [était] le poète le plus doué de sa génération". Il en fera son assistant. Le jeune poète "grandira" à l'ombre de l'auguste aîné.
Amadou Lamine Sall est aujourd'hui l'un des poètes majeurs du continent africain. Il est l'auteur de plusieurs recueils de poésie (Kamandalu (1990), Mante des aurores (1979), Comme un iceberg en flammes, J'ai mangé tout le pays de la nuit (1994), Amantes d'Aurores (1998).
Sall est aussi le fondateur de la Maison africaine de la poésie internationale (Mapi) et président des Biennales de poésie de Dakar. Amadou Lamine Sall est traduit en anglais, espagnol, polonais, allemand, macédonien, serbo-croate, grec, arabe et peul.
Son œuvre poétique complète est parue aux éditions Feu de brousse, à Dakar. Amadou Lamine Sall est membre de l’Académie mondiale de la poésie, dont le siège est à Vérone en Italie, et lauréat du Grand Prix de l’Académie française.
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20.12.2011 | Amadou Lamine Sall | Courrier international
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