vendredi 2 décembre 2011

La Côte-d’Ivoire débarrassée du cas Gbagbo

(Liberation 02/12/2011)
Analyse. L’ancien Président soupçonné de crimes contre l’humanité comparaît lundi à la Cour pénale internationale.
Premier ex-président à être remis à la Cour pénale internationale (CPI), Laurent Gbagbo, 66 ans, a été incarcéré dans la prison de Scheveningen, près de La Haye (Pays-Bas), dans la nuit de mardi à mercredi. Sa comparution initiale aura lieu lundi.
De quoi est accusé Laurent Gbagbo ?
Selon le procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, Laurent Gbagbo a engagé sa responsabilité pénale individuelle en tant que «coauteur indirect» pour quatre chefs de crimes contre l’humanité : «meurtres, viols et autres violences sexuelles, actes de persécution et autres actes inhumains». D’un point de vue hiérarchique, Laurent Gbagbo porte une responsabilité éminente dans les violences qui ont suivi la présidentielle de novembre 2010 en Côte-d’Ivoire. Celles-ci ont éclaté à la suite de son refus de reconnaître sa défaite. «En tant que président, il assume tous les actes commis par ses subordonnés, note Florent Geel, directeur Afrique à la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). Durant la crise post-électorale, la communauté internationale a multiplié les avertissements, demandant à Gbagbo de faire cesser les violences. Il n’y a jamais répondu et ne les a jamais condamnées.»
Le bilan des violences en Côte-d’Ivoire est estimé à au moins 3 000 morts et plus d’un million de personnes ont été déplacées. Laurent Gbagbo, qui contrôlait l’ensemble de l’appareil sécuritaire officiel, avait mis en place des milices sanguinaires, notamment dans l’ouest du pays. Et au moment où tout semblait perdu pour lui, il a fait distribuer des milliers d’armes à ses partisans à Abidjan.
Pourquoi Laurent Gbagbo a-t-il été remis à la CPI ?
Dès son accession au pouvoir, Alassane Ouattara a demandé à la CPI d’enquêter sur les crimes commis par l’ancien régime, jugeant qu’un procès de son ancien rival sur le sol ivoirien risquait de susciter des nouvelles tensions dans un pays convalescent. Même reclus dans le nord, à Korhogo, Laurent Gbagbo continuait d’empoisonner le nouveau pouvoir. Le parti fondé par l’ex-président, le Front populaire ivoirien (FPI), a décidé de boycotter les législatives du 11 décembre pour protester contre la détention de son mentor. Aux yeux du camp Ouattara, il était donc urgent d’aller vite. Début octobre, les équipes du procureur Moreno-Ocampo étaient à pied d’œuvre en Côte-d’Ivoire où les nouvelles autorités leur ont transmis tous les éléments de preuve dont elles disposaient. «Les Etats-parties au traité de Rome [portant création à la CPI, ndlr] sont tenues de coopérer avec la Cour, et on peut compter sur la France pour lui donner du biscuit», note un observateur averti.
En outre, la volonté d’Alassane Ouattara a coïncidé avec celle du procureur de la CPI d’accrocher à son tableau de chasse un ex-président avant de quitter son poste. Luis Moreno-Ocampo achève son mandat en juin, mais son successeur sera désigné lors d’une conférence qui débute le 12 décembre à New York. Avant Gbagbo, un autre président, le Soudanais Omar el-Béchir, avait été inculpé par la CPI en 2009. Mais il continue d’exercer ses fonctions et de voyager en toute impunité. Une humiliation pour le procureur.
Quelles conséquences pour la Côte-d’Ivoire ?
«Un procès en Côte-d’Ivoire aurait permis de montrer qu’un pays africain peut juger de manière indépendante l’un de ses anciens dirigeants, note Florent Geel, de la FIDH. Mais les partisans de Gbagbo n’auraient pas manqué de dénoncer une justice des vainqueurs et une volonté de vengeance.» Ouattara a donc préféré s’exposer à la critique d’une justice «néocoloniale». Le transfèrement de l’ex-président a suscité des déclarations virulentes d’anciens caciques de son régime. Mais aucun incident n’était à déplorer hier soir. «Le camp Gbagbo est encore KO», note une source diplomatique.
Hier, le procureur de la CPI a clamé : «Ceci est le premier dossier en Côte-d’Ivoire. Ce ne sera pas le dernier, ce n’est que le début.» D’autres hiérarques de l’ancien régime, dont Simone Gbagbo, l’ex-première dame, pourraient prendre rapidement la direction de La Haye. Mais la CPI comme la justice ivoirienne ont promis de sanctionner aussi les responsables du camp Ouattara soupçonnés de crimes de guerre et contre l’humanité. A ce jour, aucun n’a été inculpé. Bien au contraire, plusieurs chefs militaires de l’ex-rébellion ont été promus. Ouattara, qui leur doit en partie son installation au pouvoir, se sent encore trop fragile pour passer à l’action. «Le transfèrement de Gbagbo est un premier pas positif, estime Florent Geel, mais il faut que d’autres inculpations suivent rapidement, y compris dans le camp de Ouattara.» Il y va de la réconciliation en Côte-d’Ivoire.

Par THOMAS HOFNUNG

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