(Le Figaro 02/12/2011)
À la nuit tombante, les bars de Kinshasa se remplissent. On y boit de la bière fraîche à la lumière falote de lampes électriques, ersatz destiné à pallier des coupures de courant si fréquentes qu'on ne les remarque plus. On discute. On rit. Mais personne ne se trompe sur l'apparente normalité qu'affiche la capitale. Trois jours après le vote pour les élections présidentielle et législatives en République démocratique du Congo, l'immense cité semble se reposer avant l'éruption qui accueillera l'annonce des résultats, prévue au plus tard le 6 décembre. Une éruption que beaucoup n'imaginent que violente.
Rumeurs
Les différentes missions d'observation, qui ont publié leurs premiers commentaires, aiguisent ces inquiétudes. Seule l'Union africaine, comme souvent lors des votes sur le continent, y a vu un «scrutin exemplaire». Les autres se montrent diplomatiquement dubitatifs. Le Carter center, une ONG américaine, tout en félicitant les Congolais, a déploré «la publication tardive des listes électorales», regrettant que «le matériel essentiel, comme les bulletins, n'ait été livré qu'à la dernière minute». Léonie Kandolo, directrice de l'Observatoire national des élections, évoque des «irrégularités significatives». Enfin, l'UE, tout en notant que le vote s'est passé «globalement dans le calme» et que «le secret du vote a été garanti», signale que «de nombreux électeurs ont eu beaucoup de difficultés à trouver leur bureau de vote». Plus grave, l'UE remarque que les scrutateurs «n'ont pas eu accès systématiquement à des copies des résultats, (…) garantie clé de la transparence». Une façon, en creux, d'émettre un doute sur la sincérité du processus.
La foire de Kinshasa, où convergent tous les bulletins de la ville, n'a jamais autant mérité son nom. Sur les pelouses, devant les portes d'immenses hangars, des milliers de gros sacs s'empilent au milieu d'agents électoraux débordés et d'observateurs internationaux atterrés. «Vous parlez de désordre, mais ce n'est pas vrai. Il faut nous laisser faire. On va y arriver», affirme néanmoins Daniel Ngoy Mulunda, le patron de la Commission électorale (Ceni), en charge du scrutin. «Ces conditions de dépouillement sont la porte ouverte à tous les débordements et vont empêcher toutes vérifications réelles en cas de contestation», souligne un diplomate, qui redoute une fraude des partisans du président sortant Joseph Kabila, affaibli par le triste bilan de son premier mandat. Paradoxalement, toutefois, l'opposition, d'abord très hostile à la Ceni, semble maintenant se satisfaire de tout. Nul n'évoque plus l'annulation du vote. «Pourquoi faire annuler un vote, alors que l'on sait que nous avons gagné?» glisse en souriant Jacquemin Shabani, le bras droit d'Étienne Tshisekedi, le principal rival de Joseph Kabila.
Alors que la capitale bruisse de rumeurs, le clan présidentiel affiche ses certitudes. «En Afrique, les capitales sont toujours frondeuses. Et Kinshasa aussi. Mais le reste du pays nous est favorable. Tout indique que nous allons dépasser les 50%», veut croire Raphaël Ngewj, un proche du chef d'État. Coincé entre ces affirmations invérifiables et l'hostilité croissante entre une opposition intransigeante et une majorité peu encline aux concessions, le Congo se fait de plus en plus tendu. «C'est le pire des scénarios qui se dessine, témoigne un diplomate. Les chances d'échapper à un second tour dans les rues sont maintenant infimes.»
Par Tanguy Berthemet
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