(Slate.fr 22/03/2011)
La guerre civile en Côte d’Ivoire touche deux fronts: Abidjan et la région Ouest, où se concentrent tous les ingrédients d’un cocktail particulièrement dangereux.
La guerre civile est un cancer. Dès qu’une métastase disparaît quelque part, une autre apparaît ailleurs. Ainsi, entre 2002 et 2003, les combattants libériens délaissent le régime chancelant de Charles Taylor pour se diriger vers la Côte d’Ivoire voisine, où vient d’éclater une insurrection armée. Dès novembre 2002, des milliers de miliciens libériens sont recrutés par les rebelles ivoiriens pour grossir les rangs de deux mouvements armés issus de la région Ouest: le Mouvement populaire ivoirien du Grand Ouest (MPIGO) et le Mouvement pour la justice et la paix (MJP).
Les hordes aguerries dans les faubourgs de Monrovia permettent aux rebelles ivoiriens de contrôler les villes de Man et Danané. Au passage, les Libériens imposent leur style de guerre: viols et pillages contaminent l’Ouest ivoirien. La région bascule dans l’ultraviolence. Il faudra l’intervention de l’armée française pour éviter que le grand port de San Pedro, objectif stratégique des rebelles, ne tombe entre leurs mains.
Œil pour œil…
La réponse du régime Gbagbo sera la copie exacte de la méthode employée par les rebelles nordistes. Il soutient la création de milices locales opposées à l’avancée rebelle, comme le Front de Libération du grand Ouest (FLGO) ou l’alliance des patriotes Wê (AP-Wê). Il finance, à son tour, l’embauche de miliciens libériens choisis parmi les adversaires politiques ou ethniques de ceux que l’on retrouve dans les rangs du MPIGO et du MJP. A la mosaïque identitaire ivoirienne, déjà fortement ébranlée par le concept «d’ivoirité», s’ajoutent les divisions ethniques libériennes et les haines engendrées par quinze années de guerre civile. L’Ouest ivoirien devient la zone de tous les dangers et le cancer libérien menace d’emporter le malade ivoirien.
Huit ans plus tard, rien n’a changé. Rentrés chez eux à la faveur des plans de démobilisation ou d’opérations de retour forcé, les miliciens libériens ressurgissent à la moindre alerte. Quant aux milices locales, plus ou moins intégrées à l’armée, elles constituent l’épine dorsale des Forces de défense et de sécurité dans le Grand Ouest. La ligne de front existe toujours. Man et Danané pour les Nordistes, Toulépleu et Douékoué pour les Sudistes.
L’histoire se répète
A la mi-février 2011, alors que la situation militaire semblait gelée à Abidjan, les ex-rebelles des Forces Nouvelles de Guillaume Soro, rebaptisées Forces républicaines (FR), ont repris l’offensive, prenant la ville de Toulépleu et une poignée de localités voisines. Une offensive planifiée par le Premier ministre d’Alassane Ouattara, venu début mars passer les troupes en revue dans la ville de Man. Les Forces républicaines voulaient manifestement se prémunir d’une offensive des miliciens libériens, revenus en force aux côtés des troupes loyales à Laurent Gbgabo.
Selon Thomas Hofnung, du quotidien français Libération, le camp Gbgabo aurait récemment recruté près de 3.000 de ces «chiens de guerre» libériens. Les FR ne sont sans doute pas en reste, et que ce soit en zone Nord ou en zone Sud, les témoignages de civils recueillis au téléphone font état d’une présence de miliciens étrangers et d’une reprise concomitante des exactions contre les populations civiles: pillages et viols.
Objectif: le port du cacao
Mais le réveil du front Ouest a aussi une dimension stratégique. Les FR veulent achever l’opération que le MPIGO et le MJP n’avaient pu mener à bien en 2003, à savoir conquérir San Pedro. Ils ôteraient alors à Laurent Gbagbo toute possibilité d’utiliser ce grand port pour exporter le cacao. Des centaines de milliers de tonnes de fèves sont actuellement stockées à San Pedro dans l’attente d’un départ vers les chocolateries occidentales.
Laurent Gbagbo a récemment ordonné la nationalisation de la filière cacao, dans le but de desserrer l’étau financier dans lequel il se trouve en raison des sanctions internationales. En outre, si le port de San Pedro tombe aux mains des forces alliées à Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo n’aura plus guère la possibilité de recevoir le moindre soutien extérieur ni la moindre livraison d’armes clandestines.
Cette réactivation du front Ouest a déjà poussé des dizaines de milliers d’Ivoiriens sur les routes. Entre 70.000 et 90.000 ont trouvé refuge au Liberia, qui accueille désormais des camps de réfugiés ivoiriens.
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