(Courrier International 15/03/2011)
Le décès d'un élève après qu'il ait été victime de violences policières a déclenché un sentiment d'indignation parmi la jeunesse. Il se mue en un fort mouvement de protestation et de mécontentement qui ne désarme pas.
Ouagadougou, le 11 mars 2011, la manifestation étudiante se transforme en affrontements avec les forces de l'ordre
La journée du vendredi 11 mars 2011 aura été des plus mouvementées à Ouagadougou. Tout est parti de la marche meeting de l'Association nationale des étudiants burkinabés (ANEB). Avec pour destination la Direction générale de la Police nationale (DGPN) pour « protester contre les agissements des éléments des forces de l'ordre et pour réclamer vérité et justice sur les assassinats d'élèves et d'étudiant dans la région du Centre-Ouest et pour dire non à la culture de l'impunité» Cette manifestation, prévue pour être pacifique, s'est finalement transformée en course-poursuite dans les artères de la capitale. Récit d'une chaude journée...
Aux premières heures, ce vendredi 11 mars 2011, un important dispositif sécuritaire était mis en place tout autour de la Direction générale de la Police nationale (DGPN) et de la zone des ministères. A certains endroits plus ou moins stratégiques de la ville, les forces de l'ordre étaient également visibles. Dans d'autres lieux, ce sont même des militaires qui étaient réquisitionnés. D'ailleurs, depuis la veille jeudi au soir, les services sms étaient coupés, sans doute par crainte que ne souffle sur les rives du Kadiogo un parfum de Jasmin qui, on le sait, a pu se répandre en Tunisie et en Egypte en majeure partie grâce aux réseaux sociaux sur Internet et aux textos à partir desquels les manifestants coordonnaient leurs regroupements. Ce n'est que le vendredi dans l'après-midi qu'il était de nouveau possible d'envoyer des sms.
Sur le coup de 7h30 ce jour-là, le lieu de rassemblement, l'Université de Ouagadougou (UO), comptait déjà des centaines de personnes. Sifflets stridents et pancartes sont de mise. Muni d'un stylo et d'un calepin, un jeune homme nous accoste. "De quel organe êtes-vous s'il vous plaît et est-ce que je peux avoir un contact ?" nous demande-t-il. "C'est pour la sécurité des journalistes au cours de la marche. Nous recensons les organes présents pour la couverture", ajoute-t-il. Nous nous faisons donc enregistrer. Un autre étudiant vient à notre rencontre. Un autre recensement ? Non, un résident de la cité universitaire surnommée "la cité chinoise", ce dernier veut nous informer que la veille, dans la nuit, ils ont reçu la visite d'un groupe de jeunes se disant "patriotes", venus les dissuader de participer à la marche. "Ils en ont eu pour leur compte au point qu'ils ont du fuir en abandonnant leur voiture", conclut-il avant de se fondre dans la masse.
8h56, la colonne s'ébranle et quitte le temple du savoir. Les commerçants riverains du boulevard qu'ils empruntent ferment boutique. Prudence est mère de sûreté. En chemin, la marche croise ses premiers hommes de tenue : des militaires et des gendarmes postés. Si en temps normal "apercevoir un gendarme est le commencement de la sagesse", dit-on, cette scène, tel un chiffon rouge qu'on agite devant un taureau, a le don d'exciter la colonne. "Policiers assassins !" crie-t-elle. La commission sécurité doit redoubler d'effort pour empêcher tout débordement ou jet de projectiles. Il est difficile de donner un chiffre exact du nombre de marcheurs. Les manifestants occupent en effet tout le boulevard. On entonne l'hymne national, le Ditanyé, en passant devant le Secrétariat général du gouvernement.
9h32, la brigade anti-émeute est en position ainsi que des militaires, armes en bandoulière. "Libérez ! On veut marcher !" hurlent des frondeurs, que les organisateurs de la marche ont de plus en plus de mal à contenir. Il leur faut même faire usage de la force pour les empêcher de forcer les barrières. C'est le face-à-face tendu. Pendant quelques minutes, les agités vont haranguer leur vis-à-vis. Soudain, des projectiles pleuvent sur les forces de l'ordre. Ils ripostent avec des bombes lacrymogènes puis des tirs de balles blanches. Quelques jeunes continuent de jeter des cailloux. "On est là ! On ne bouge pas !" braillent-ils. Ils seront pourtant obligés de battre en retraite. Dans leur fuite, ils n'épargnent pas le bâtiment ayant abrité la direction de campagne de Blaise Compaoré lors de l'élection présidentielle du 21 novembre 2010. Plusieurs vitres volent en éclat. Comme preuve de leur passage, des tas de pneus, des feuilles, herbes sèches et planches brûlés à plusieurs endroits. La course-poursuite se poursuit dans les quartiers proches de l'université.
11h44, les choses se corsent dans le quartier Wemtenga. Les frondeurs, qui ont décidé de brûler le commissariat de Police s'y trouvant, se heurtent à la gendarmerie qui protège le site. C'est l'affrontement. Cailloux et autres projectiles contre bombes lacrymogènes et balles en caoutchouc. Grâce à un renfort de troupes véhiculées, les "casseurs" sont contraints de se replier. Juste le temps de dresser un bastion sur le boulevard Charles-de-Gaulle qui jouxte l'université. A l'aide de pneus, de planches de bois et de ferraille, récupérés dans les commerces alentours, la voie est bloquée. Tapis derrière les kiosques et autres boutiques, les jeunes armés de cailloux guettent le passage des véhicules de la gendarmerie qui reçoivent à chaque fois une pluie de pierres. L'odeur piquante du gaz inonde toute la zone. La journée aura été agitée du côté du Kadiogo ...
Dans la soirée, le Président du Faso, Blaise Compaoré, lance un appel au calme depuis Addis Abeba. L'ANEB, elle, a décrété une grève de 72 heures En outre, un meeting est prévu le 15 mars à l'Université de Ouagadougou.
Hyacinthe Sanou & Moumouni Simporé
L'Observateur Paalga
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