samedi 11 septembre 2010

Nigeria -Lagos n’est (peut-être) plus la capitale du crime

(Courrier International 11/09/2010)
La plus grande ville d’Afrique serait presque pacifiée – si seulement les policiers voulaient bien arrêter de terroriser la population.
Il n’y a plus de criminalité à Lagos ! C’est du moins ce que la Direction de la police de l’Etat de Lagos [le plus important de la Fédération nigériane], sous la houlette de son commissaire, Marvel Akpoyibo, et de son porte-parole, Frank Mba, ne cesse de répéter lors d’apparitions en public et de conférences de presse. Même s’il est indéniable que le nombre de vols à main armée commis dans la ville a considérablement baissé depuis l’arrivée du gouverneur Babatunde Fashola, qui, dès le début de son mandat, a fait de la sécurité l’une de ses priorités, la police a tort de se glorifier comme elle le fait de la prétendue disparition de la criminalité à Lagos [capitale économique du Nigeria, peuplée de plus de 10 millions d’habitants].
Il est certes réjouissant de voir que cette mégapole est en train de retrouver sa vie nocturne après en avoir été longtemps privée en raison des meurtres qui y étaient régulièrement commis. Les attaques de banques qui sévissaient dans la ville il y a quelques années ont, elles aussi, disparu. Et il ne faut pas non plus oublier les opérations One Chance, au cours desquelles des voleurs se faisant passer pour les passagers d’un bus dépouillaient leur victime de tous ses biens, la poussaient hors du véhicule en marche, causant ainsi des blessures graves, voire la mort. Mais Lagos est-elle vraiment débarrassée de toute criminalité comme le chef de la police et ses hommes voudraient nous le faire croire ? Pour autant que je sache, aucune ville au monde ne peut être capable d’un tel exploit.
Il est vrai que beaucoup des délits qui avaient valu à Lagos sa mauvaise réputation appartiennent désormais au passé. Mais ils sont remplacés par des crimes et délits plus graves, commis par des policiers. Aujourd’hui encore, comme dans un passé récent, la brigade d’intervention rapide de l’Etat abat des innocents au cours d’opérations extrajudiciaires qui font planer des doutes sur la santé mentale de nos policiers. Les hommes de la Police mobile, qui exercent dans des secteurs jugés sensibles, profitent de leurs fonctions pour racketter les motards et harceler des innocents avec leurs contrôles routiers et leurs fouilles, entravant parfois la circulation au point de provoquer des accidents mortels. Un nombre incalculable de gens ont ainsi perdu la vie à cause de l’imprudence des agents de la brigade d’intervention rapide. Le commissaire de police de Lagos n’est-il pas au courant des délits que ses hommes commettent contre des habitants de la ville ? Peut-on considérer qu’il n’y a plus de criminalité dans une ville quand des policiers censés protéger les habitants sont ceux-là mêmes qui les harcèlent et leur ôtent la vie. Combien de personnes ont-elles été tuées “accidentellement” par des agents de la Direction de la police de l’Etat de Lagos ?
Combien de vies innocentes ont-elles été fauchées dans la fleur de l’âge par cette même police ? Chaque fois que j’entends que des hommes de Frank Mba ont abattu un innocent, je me sens déprimé. Le porte-parole de la police assure invariablement aux habitants de Lagos que, si des policiers tuaient des innocents, ils devraient rendre des comptes. Mais combien ont été poursuivis en justice à ce jour ? Rappelons-nous comment, fin 2009, des jeunes qui discutaient devant chez eux ont été abattus de sang-froid par des agents qui n’ont toujours pas été retrouvés. En avril 2010, un jeune qui assistait à un match de football dans le quartier populaire d’Ajegunle a connu le même sort, car il refusait de verser à des policiers l’argent qu’ils voulaient lui extorquer. Cet acte arbitraire a engendré des émeutes qui ont gagné toute la ville. Les coupables ont-ils été sanctionnés ? Lagos ne sera pas délivrée de la criminalité tant qu’on laissera ses policiers continuer à tuer, harceler et racketter d’innocents habitants, tant qu’on ne les empêchera pas de procéder à des contrôles routiers illégaux et pouvant coûter la vie à des habitants, et tant que le commissaire n’admettra pas que la criminalité n’a pas été éradiquée à Lagos, puisque certains de ses hommes s’y livrent à des agissements contestables.
REPÈRE Lagos
La plus grande ville d’Afrique subsaharienne, Lagos, capitale économique du Nigeria, a depuis longtemps une image de violence et de criminalité. Vols, trafic de drogue, kidnapping, meurtres, règlements de comptes, gangs,
corruption financière : la mégapole de plus de 10 millions d’habitants cumule une rapide croissance démographique et de très fortes disparités sociales. Le gouverneur de l’Etat a promis d’engager des dépenses importantes pour renforcer le dispositif de sécurité. Il a récemment doté les services de sécurité de deux hélicoptères puissants pour surveiller le territoire et les zones maritimes.
Bayo Olupohunda 
 Next

© Copyright Courrier International

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire