mercredi 26 mai 2010

Sudan - Des Européens seront présents à l’investiture d’Omar al-Bachir

(Le Temps.ch 26/05/2010)
Les pays de l’Union européenne (UE) s’apprêtent-ils à enfreindre les principes de la justice internationale en envoyant un représentant à la cérémonie d’investiture du président du Soudan, visé depuis 2009 par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) pour «crimes de guerre et crimes contre l’humanité» au Darfour?
C’est ce que craignent les militants des droits de l’homme. Réélu en avril, le président soudanais, Omar al-Bachir, veut utiliser la cérémonie, prévue ce jeudi à Khartoum, comme une validation de son pouvoir. La guerre du Darfour, depuis 2003, a fait environ 300 000 morts, selon les statistiques des Nations unies.
Les Européens devaient se concerter mardi à Bruxelles pour arrêter leur décision. Seuls deux pays, les Pays-Bas et la Suède, s’opposent à une présence à l’investiture. La France espère pour sa part une «position commune européenne» sur «le niveau de représentation», indique-t-on au Quai d’Orsay. Paris n’entend donc pas boycotter, mais préfère un «habillage» européen.
Cette approche soulève l’indignation d’un groupe d’organisations non gouvernementales (ONG), dont Amnesty International, Human Rights Watch et la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), qui ont adressé, vendredi 21 mai, une lettre au ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, critiquant un manquement grave à la lutte contre l’impunité. Une représentation à l’investiture «serait un camouflet pour les victimes de crimes de masse au Darfour», souligne cette lettre.
Les Nations unies aussi…
La realpolitik et la nécessité de ne pas rompre le dialogue avec un régime soudanais qui vient de tenir des élections générales – quoique entachées de fraudes – sont invoquées par des diplomates européens pour justifier une présence. Ils mentionnent l’échéance à haut risque du référendum sur l’indépendance du Sud-Soudan, prévu début 2011.
Les Européens semblent en outre tentés de s’abriter derrière la décision du secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, de dépêcher deux de ses représentants spéciaux à Khartoum le 27 mai. Un choix qui, selon les ONG, bafoue les directives des Nations unies (fixées en 2006 et précisées en 2008 à propos du Soudan), limitant les contacts avec tout officiel incriminé par une juridiction internationale. Enfin, le positionnement de Washington, qui semble prêt à envoyer un diplomate – de rang subalterne – à l’investiture, pourrait servir d’alibi. Mais les Etats-Unis ne sont pas partie au traité de Rome qui a fondé la CPI.
Ainsi la séquence qui s’ouvre est-elle jugée potentiellement désastreuse pour l’image de l’Europe comme défenseur de la justice internationale. Le 31 mai, à Kampala (Ouganda), une conférence internationale doit faire le bilan de huit années d’existence de la CPI.
Auparavant, le 26 mai, les pays de l’UE prévoient de réaffirmer leur soutien à la Cour. Comment, entre ces deux dates, assister à la cérémonie organisée par Omar al-Bachir sans paraître renier ses propres engagements? Les ONG appellent en particulier la France à être cohérente. Elles rappellent que, fin 2009, l’Elysée avait déplacé le sommet Afrique-France (initialement prévu en Egypte, mais finalement organisé à Nice, le 31 mai) pour qu’Omar al-Bachir ne puisse pas y assister. Et que soit ainsi évité tout affichage inopportun avec un chef d’Etat recherché pour crimes de guerre.

Natalie Nougayrède Le Monde
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