(France Info 25/05/2010)
Toute la semaine, France Info revient sur le cinquantenaire des indépendances en Afrique. Seize pays de ce continent l’ont obtenu cette année-là. Aujourd’hui, focus sur le Cameroun. Les évènements dramatiques qui ont marqué son indépendance, le 1er janvier 1960, ont laissé des traces durables dans les esprits. Et les Camerounais jettent un regard cru sur les relations franco-africaines.
La guerre d’Indochine ou la guerre d’Algérie ont leur place dans les manuels d’Histoire et dans les consciences. Mais pour l’Afrique sub-saharienne, le cliché a tendance à montrer une décolonisation presque tranquille, rendue automatique et sans douleur par les lois et la volonté du général de Gaulle.
C’est une autre version de l’Histoire qui s’est inscrite dans les forêts du Cameroun.
Elle est peu racontée, mais cinquante ans après, elle ne s’est pas effacée des mémoires au Cameroun, où les rapports avec la France posent problème à certains, tant sur le plan de la politique actuelle que sur celui de l’Histoire.
Au Cameroun, 50 ans après l’indépendance, un passé encore douloureux Le Plus de Valérie Crova (5'44")
France Info - Samuel Mack-Kit, actuel président de l’UPC.
Le pays a été le premier de la série de 1960 à accéder à l’indépendance. Le premier janvier, c’était officiel, le Cameroun n’était plus une colonie française, mais un pays indépendant. Président : Ahmadou Ahidjo, vieux routier de la politique africaine : il a débuté sa carrière en 1947.
Les festivités et les défilés dans Yaoundé tentent de faire oublier qu’une guerre civile sévit depuis cinq ans dans le sud du pays, où les Bamilékés demandent l’indépendance, sous la bannière de l’Union des populations du Cameroun (UPC). Leur chef historique, Ruben Um Nyobé, est déjà mort. Il a été exécuté deux ans plus tôt par l’armée française.
Le parti UPC existe toujours, et pour son président, Samuel Mack-Kit, la France n’a ni soldé les comptes de l’Histoire, ni clarifié sa politique présente. (2'06")
Cette “coopération” ne s’arrête pas le 1er janvier 1960. Un accord de défense, signé avant, donne les coudées franches à la France pour soutenir le régime “ami”. Et les opérations vont reprendre de plus belle après l’indépendance. Cinq bataillons français sont dépêchés dans le sud du Cameroun. Ils vont y mettre en œuvre les techniques appliquées en Indochine et en Algérie, détruisant les villages, pour tenter d’assécher les maquis de l’UPC. Certains témoignages évoquent l’utilisation de napalm. Le nombre de victimes de ces campagnes militaires françaises avant et après 1960 n’est pas connu. Il pourrait atteindre des dizaines de milliers de morts.
Les services secrets, Jacques Foccart en tête, mènent la danse sur un tempo très “barbouze”. Le nouveau patron de l’UPC, Félix-Roland Moumié, est “liquidé” à Genève, empoisonné.
Le pire vient ensuite. Entre 1962 et 1964, l’armée régulière camerounaise reprend le sud du pays, au prix de massacres à grande échelle. Là encore, aucun bilan n’a été entrepris. Des chiffres de 300.000 à 400.000 morts sont évoqués. Après les opérations, des observateurs confirmeront l’ampleur des destructions et les témoignages abondent sur des atrocités parfois assimilées à un génocide.
Si les Français n’ont pas, semble-t-il, participé à ces massacres, ils les ont couverts, toujours pour conserver le Cameroun dans le “pré carré”. Ils ont aussi formé et entraîné les services secrets camerounais, qui arrêtent et torturent, sous la direction d’un policier, Jean Fochivé, formé dans les locaux du SDECE, ancien nom des services français, déjà installés boulevard Mortier, à Paris.
Les étudiants camerounais ont un regard très critique envers la France, selon un étudiant de l’association ADDEC, qui milite pour al liberté d’expression à l’université de Yaoundé. (2'56")
Si la situation s’est apaisée aujourd’hui, les Camerounais n’ont pas oublié. La France est toujours perçue avec un mélange de méfiance, de rancœur et en même temps d’envie au Cameroun. Ce qui agace aujourd’hui, alors que la crise économique a frappé durement, ce sont les entreprises françaises, les liens “privilégiés” qu’elles entretiennent avec les milieux influents, comme le groupe Bolloré, qui domine les chemins de fer ou le port de Douala, ou Orange, omniprésente.
Certains évoquent l’Histoire, mais beaucoup regardent le présent. Et ce qui fâche aujourd’hui, ce sont les visas, de plus en plus difficiles à obtenir pour se rendre en France.
Valérie Crova, Grégoire Lecalot
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