(Le Pays 31/05/2010)
Au Niger, la tranquille transition engagée par la junte pourrait connaître des jours mouvementés. Et ce serait alors la fin de l’état de grâce pour elle. Les militaires au pouvoir à Niamey, sans doute ragaillardis par leur expédition fructueuse à Bruxelles, se sentent pousser des ailes. A telle enseigne qu’ils se croient permis de remettre en cause certains souhaits de la classe politique et de la société civile.
La junte a en effet revu la copie qui lui a été soumise, en mettant la barre encore plus haut, en ce qui concerne le niveau d’instruction requis pour être éligible à un mandat de député et le montant de la caution pour les candidats à la présidentielle qui passe du simple au double. Au passage, elle a raccourci le mandat présidentiel, le ramenant de cinq à quatre ans. On peut comprendre, à travers ce durcissement des conditions, la volonté de la junte d’écrémer les candidatures à certains postes électifs, mais surtout d’assainir la classe politique et si possible de la renouveler.
Car le Niger a besoin de sang neuf et d’hommes véritablement engagés pour son développement. Les militaires ont donc raison de vouloir verrouiller un tant soit peu le système pour l’épargner des prédateurs et aventuriers comme l’ancien président Mamadou Tandja. Mais est-ce nécessaire, pour ce faire, de mettre la barre aussi haut, au risque de créer un scrutin législatif censitaire qui laissera sur le bas-côté de la route la majorité des Nigériens ? L’exigence d’avoir le baccalauréat pour les candidats aux législatives n’a de sens que dans un pays qui a réglé son problème d’éducation. Or le Niger a l’un des plus faibles taux de scolarisation au monde. Une loi électorale trop élitiste ne peut donc que porter préjudice à de nombreux citoyens. Les militaires sont sans doute animés d’un désir profond de rehausser le niveau du jeu politique et la qualité de la démocratie au Niger. Ils ont cependant intérêt à tenir aussi compte des réalités du pays.
Du reste, au-delà du bagage intellectuel que doit posséder un homme politique, ce qui compte le plus, c’est son honnêteté, son patriotisme et son intégrité. En Afrique, plus qu’ailleurs, on a vu que les intellectuels ont souvent été de piètres politiques et de mauvais dirigeants. Il leur a manqué ce supplément d’âme qui aurait pu faire d’eux de vrais hommes d’Etat. Au Niger, il faut savoir donc aller au rythme des réalités nationales. La junte ne s’est pas arrêtée qu’à cet aspect des élections. Elle a aussi revu à la baisse la durée du mandat présidentiel : quatre ans, comme dans certains pays anglophones. On peut trouver à redire à cette proposition. Dans la plupart des pays africains, l’heure est aux quinquennats. C’est un délai raisonnable pour tout chef d’Etat de faire ses preuves. Il a aussi l’avantage d’espacer quelque peu les élections qui sont, on le sait, un lourd fardeau pour les pays africains.
La majorité d’entre eux d’ailleurs recourent à l’aide internationale pour financer leurs élections. Il devient dans ces conditions suicidaire de rapprocher, de façon aussi serrée, les échéances électorales. On réfléchit même de plus en plus au couplage des élections pour réduire les frais d’organisation.
En tout état de cause, la transition nigérienne est à une phase importante de son cheminement. En corrigeant la copie du conseil consultatif de façon aussi unilatérale, la junte pourrait rompre la cohésion qui a prévalu jusque-là autour du processus de sortie de crise au Niger. Elle doit de ce fait avoir l’humilité de se remettre en cause, en acceptant les propositions issues des débats contradictoires des instances, même consultatives, mises en place à cet effet. Sinon, une crise de confiance est vite arrivée, avec ce que cela a de négatif sur la marche sereine des Nigériens vers des élections irréprochables.
Mahorou KANAZOE
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