(Le Figaro 31/05/2010)
Cinquante ans après l'indépendance, dans un pays rongé par la misère, les habitants sont gagnés par la nostalgie de «l'empereur».
A première vue, c'est un amas de ferraille dont surgissent quelques morceaux de bois. Il faut se pencher pour distinguer la carcasse d'un siège. Les derniers vestiges du trône de Bokassa Ier, empereur de Centrafrique, achèvent de pourrir dans l'herbe humide.
Au-dessus d'eux, la grande silhouette de la salle Omnisport ne vaut guère mieux. De ce gymnase, cadeau de la France giscardienne, il ne reste que des murs de béton et, dans le toit effondré, les conduites de la climatisation qui pendent dans le vide. Plus rien ne subsiste des fastes grand-guignolesques du couronnement, le 4 décembre 1977. Le maréchal-président à vie Bokassa avait pourtant vu grand, engloutissant une année du budget de l'État dans la fête. Une partie des fonds était allée aux prisons, pour y entasser les derniers opposants.
Geneviève contemple l'Omnisport de loin, sans vraiment y prêter attention. «Avant, ça marchait. C'était bien», glisse-t-elle. À Bangui, la capitale, la phrase revient comme une ritournelle. L'eau courante, l'électricité et les services de base ne sont plus, bien souvent, que des souvenirs «d'avant ».
Geneviève a 50 ans ; elle en paraît quinze de plus. Marchande des rues, elle est née quelques jours avant l'indépendance et a vu lentement son pays s'effondrer, pour devenir l'un des plus pauvres du monde. «Avant c'était bien, quand Bokassa était président», répète-t-elle. Ces deux dernières décennies, elle les a passées à errer d'un point à l'autre de Bangui à la recherche d'un abri, avant de se fixer à Guitangola, une banlieue. En fait, Guitangola, à 7 km du centre, a tout d'un gros village avec ses maisons en torchis, des toits de tôle et ses champs étriqués. Ici, l'électricité est restée un projet. La compagnie nationale s'est contentée de poser les poteaux. Le quotidien de Geneviève, ce sont ses lampes à pétrole et sa famille : dix enfants et quatre adultes, tous chômeurs. Ils traînent ou ils prient. En ce jour, leurs prières vont à Céline. La gamine, 4 ans, se meurt dans la maison voisine. «Elle a une anémie, mais on ne peut pas payer pour le traitement», se lamente son père, Casimir Imasamba. «Quand Bokassa était là… », enchaîne-t-il à son tour.
Or, diamants, uranium… et misère
Aujourd'hui, le drame est devenu routinier. Le pays affiche des statistiques effroyables, médiévales : 176 enfants sur 1 000 meurent avant l'âge de 5 ans ; en vingt ans, l'espérance de vie s'est effondrée - elle n'est plus que de 39 ans. Sur les décombres du système de santé, les marabouts et autres guérisseurs ont prospéré. Dans sa maison, Jean Nganga, «grand sauveur », affirme recevoir dix patients par jour. Son fétiche, il l'assure, est redoutable. «Je mets une potion secrète dans les yeux du malade. Alors il peut voir le sorcier qui lui veut du mal. Alors on l'arrête et on le livre à la police. Et le malade guérit.»
Les archives des premières heures d'une colonisation particulièrement brutale débordent de ce genre d'histoires. La Centrafrique, née d'un accident de l'histoire, était certes mal partie. Mais ce pays, de la taille de la France et de la Belgique pour à peine plus de 4 millions d'habitants, avait des arguments : de l'or, des diamants, de l'uranium, du bois… Dans son vaste salon climatisé, l'ancien premier ministre Martin Ziguélé reconnaît les torts d'une classe dirigeante avide de pouvoir et d'argent. «Il serait difficile de nier nos responsabilités.» Une autocritique rare. L'ancien président Ange-Félix Patassé, chassé du pouvoir en 2003 par l'actuel chef d'État, s'y refuse. De sa décennie de pouvoir, marquée par des mutineries militaires et des pillages qui ont achevé d'enfoncer le pays, «AFP», comme on le surnomme, ne retient qu'une chose : «J'ai apporté la démocratie. » Rentré d'exil forcé il y a peu, Patassé n'a d'yeux que pour le prochain scrutin général, un temps prévu en juin mais reporté sine die. «Je ne voulais pas revenir. Mais une nuit j'ai entendu une voix. C'était Dieu. Il m'a convaincu de reconquérir la présidence», dit-il sans un sourire.
Henri Bolongo, conseiller du président François Bozizé, se veut un peu plus rationnel. «Il y a eu des efforts de faits», martèle-t-il. La grande victoire du gouvernement est d'être parvenu à payer régulièrement ses fonctionnaires, qui cumulent malgré tout toujours 40 mois d'impayés. Mais, au Nord, des rébellions qui ressemblent plus à des jacqueries qu'à des véritables mouvements insurgés ravagent les provinces depuis quatre ans. Désormais, la moitié du territoire échappe au pouvoir central.
«L'histoire de la Centrafrique est celle d'un État en faillite. Ce n'est pas un État failli, comme d'autres pays, c'est un État fantôme », analyse un haut fonctionnaire international. La France, comme si elle prenait acte de son impuissance, s'est peu à peu retirée de ce symbole de la Françafrique, ne laissant sur place qu'une poignée de coopérants et de militaires.
Mathieu Gbakpoma ne va pas jusqu'à regretter l'époque coloniale. Mais l'éphémère ministre des Mines de Bokassa se surprend à plonger dans une sombre nostalgie. «Le président Bokassa n'était pas toujours bon, c'est vrai, sourit-il. Mais c'était un grand bâtisseur, il a tout construit à Bangui. Bien sûr, il n'y avait pas beaucoup de liberté. Mais c'était surtout les hommes politiques qui allaient en prison. Pour les autres c'était bien…»
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