(IPS 28/05/2010)
Les tensions entre l'Union européenne et l'Afrique ont de nouveau éclaté, avec la Namibie qui accuse les autorités de Bruxelles de recourir à des tactiques d'intimidation dans les négociations commerciales.
Dans un discours ferme adressé à l’Assemblée nationale namibienne le 19 mai, le ministre du Commerce du pays, Hage Geingob, a annoncé que les Accords de partenariat économique (APE) vont probablement causer la désintégration de l’Union douanière de l’Afrique australe (SACU). Marquant son 100ème anniversaire cette année, la SACU est le plus ancien bloc commercial du genre au monde.
Les analystes estiment qu’une composante essentielle de toute union douanière est qu’elle applique des taxes ou tarifs communs sur les articles commercialisés avec le reste du monde. Mais, maintenir cette approche ne serait plus possible car cinq pays membres de la SACU ont conclu deux accords différents avec l’UE.
En 2009, le Botswana, le Lesotho et le Swaziland ont tous conclu un APE couvrant le commerce d’articles avec l’Europe. L’Afrique du Sud et la Namibie ont, quant à eux, refusé de signer le même accord, le considérant comme nuisible à leurs intérêts.
Bien que Geingob ait reconnu l’existence de "graves tensions" au sein de la SACU, il a déclaré que les gouvernements membres se sont résolus à faire ce qu’ils peuvent pour travailler ensemble. En début de cette année, tous les cinq ont demandé à rencontrer Karel de Gucht, le commissaire européen du Commerce pour examiner les garanties pouvant être offertes pour maintenir la SACU en place. Mais Geingob a exprimé sa "consternation" sur le fait que la requête a été "rejetée avec fermeté et condescendance" par de Gucht.
Geingob a soutenu qu’on aurait tort de céder à la pression européenne et d’accepter l’Accord de partenariat économique proposé par Bruxelles. Cet accord, a-t-il insinué, obligerait la Namibie à abandonner des stratégies qu’elle considère comme étant indispensables à son développement économique.
Par exemple, les Namibiens appliquent des taxes à l’exportation pour certaines matières premières afin d’encourager leur transformation au niveau national, fournissant ainsi des emplois; pourtant, l’UE insiste sur le fait que ces taxes devraient être abandonnées. En ouvrant davantage ses marchés aux exportations européennes, la Namibie serait aussi incapable de permettre à ses secteurs agricole et industriel intérieurs de se développer sans les pressions de la concurrence extérieure.
La conséquence, selon Geingob, serait que la Namibie devrait sacrifier des emplois dans la transformation agricole et alimentaire aussi bien que dans les politiques visant à assurer à sa population un approvisionnement disponible en aliments.
"Nous devrions peut-être faire nos adieux à nos industries de pâtes alimentaires et de produits laitiers", a-t-il déclaré. "Nous devrions en outre abandonner toutes les formes de restrictions sur les importations et les exportations si nous signons. Ceci mettra en danger l’ensemble de nos réalisations passées dans l’horticulture et la production de céréales, puisque vous savez que nous avons été beaucoup dépendants de l’importation d’aliments par le passé. Nos progrès vers la sécurité alimentaire et le développement rural ont été faits par la création de marchés sûrs pour nos producteurs, en limitant les importations en fruits, légumes et céréales."
Geingob a conclu son discours en faisant appel à "nos amis en Europe" pour qu’ils travaillent à la résolution des problèmes qu’il y a. "N’utilisons pas des pratiques d’intimidation ou la vieille arrogance coloniale", a-t-il ajouté.
La Commission européenne n’accepterait pas les critiques de Geingob. John Clancy, son porte-parole en Commerce, a déclaré que l’institution attache une grande importance à la collaboration avec tous les pays partenaires africains pour faire en sorte que les Accords de partenariat économique soient le moteur de développement économique et social pour le continent et tout son peuple.
"Chaque pays doit, bien sûr, décider pour lui-même du chemin qu’il juge le mieux à suivre mais nous croyons fermement que la Namibie gagnera à être un partenaire des APE", a déclaré Clancy à IPS.
Néanmoins, les remarques de Geingob reprennent celles faites par d’autres personnalités politiques en Afrique.
Le mois passé, le président sud-africain Jacob Zuma a soutenu que les attitudes de l’Europe dans les négociations des APE signifiaient que l’avenir de la SACU était "indubitablement en cause". Zuma a montré en quoi le règlement de base de la SACU contient – grâce à un amendement de 2002 – l’obligation que les accords commerciaux soient négociés collectivement pour le compte de tous les membres.
Qualifiant cette disposition de "principe fondamental pour notre existence", Zuma exhorte la SACU à examiner "comment éliminer les vestiges des systèmes coloniaux de domination et de dépendance".
Seulement 10 des 47 pays africains ont signé à ce jour les APE. Une étude récente de ‘South Centre’, un institut de recherche à Genève représentant les pays en développement, a fait observer que la plupart des gouvernements font traîner les négociations, ou hésitent à entrer en échanges commerciaux parce qu’ils considèrent certaines exigences principales de l’UE comme "toxiques". Les efforts de l’Union d’éliminer 80 pourcent des tarifs que l’Afrique perçoit sur les importations constituent une inquiétude particulière.
Selon l’institut ‘South Centre’, l’Afrique a raison de se montrer prudente sur la suppression de ces taxes, étant donné son histoire récente. Dans les années 1980, plusieurs pays africains ont introduit des réductions rapides dans leurs tarifs, dans le cadre des programmes "d’ajustement structurel" qui leur sont imposés par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.
Parmi les conséquences de ces réductions, il y eu au Sénégal la suppression d’un tiers d’emplois dans l’industrie manufacturière. La situation du Sénégal est un des nombreux cas en Afrique, où les importations moins chères ont sérieusement porté atteinte aux industries locales, provoquant des chômages à grande échelle à travers le continent.
David Cronin © Copyright IPS
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