lundi 10 janvier 2011

Cameroun - Dépenses grandioses et poids des traditions dans les deuils au Cameroun (REPORTAGE)

(Xinhuanet 10/01/2011)
YAOUNDE -- Un important lot de cartouches de munitions traîne au sol devant le domicile du défunt où le long de la nuit des coups de feu ont retenti ; une sorte de société secrète, le chef traditionnel et les notables de Bangang-Fokam dans l'Ouest du Cameroun sont rassemblés pour témoigner du poids des traditions aux obsèques de Marcus Feukwa Njeyip ce samedi 8 janvier 2011.
Parfaite illustration d'une vie de solidarité et d'union normée qui caractérise les membres des communautés bamiléké, groupe ethnique de l'Ouest du Cameroun, Bangang-Fokam est une localité accessible, sur une distance de 8 km à partir du grand axe Yaoundé- Bafoussam, par une route en terre très poussiéreuse en saison sèche. Décédé le 17 décembre 2010 à 79 ans et enterré dès le lendemain, Feukwa Njeyip y tenait le rôle de plus grand notable de la chefferie.
Programmées le long du week-end du 7 au 9 janvier 2011, les cérémonies de deuil de ce patriarche, équivalent de Premier ministre d'un gouvernement formel selon un de ses fils, Louis Bertrand Tchoumkeu, employé dans une société de distribution, ont attiré l'attention en raison de la présence d'un aréopage de personnages issus de divers horizons aux côtés des membres de la famille et d'énormes dépenses orchestrées, évaluées en millions de francs CFA.
"C'est une cérémonie d'au-revoir, de dernier hommage. La vie commence par une naissance et se termine par la mort. Et chez les Bamiléké comme partout ailleurs, ces deux événements sont célébrés de différentes manières, d'une manière joyeuse ou d'une manière triste. Quand une personne assez âgée décède et laisse de grands enfants, c'est une cérémonie triste mais qui est célébrée comme une joie", a justifié à Xinhua Louis Bertrand Tchoumkeu.
Avec des participants tirés à quatre épingles à commencer par la progéniture du notable elle-même qui a confectionné un pagne pour la circonstance comme c'est désormais de coutume en pareilles occasions d'une région à l'autre du Cameroun, un défilé de grosses cylindrées, des buffets pour des centaines de convives, une organisation précise illustrée par un service du protocole et couronnée par un déploiement militaire, ces cérémonies ont constitué un véritable événement.
Avec l'Adamaoua, le Nord, l'Extrême-Nord, le Nord-ouest et le Sud-ouest, l'Ouest est l'une des régions du Cameroun particulièrement ancrées dans la tradition et où le poids de celle- ci se décline de manière fort éclatante lors des retrouvailles communautaires en tous genres. Mais, elle passe pour détenir la palme d'or dans le financement à coups de millions de ces circonstances où le chic et le choc aux allures quelquefois d'exhibitionnisme sont érigés en règle.
Le statut social des acteurs vient rajouter à ce mode de vie qui, somme toute, s'est aussi emparé du reste du pays depuis que la société camerounaise a viré dans les années 90 vers un matérialisme insolent suite à l'avènement d'une classe de riches au détriment des fonds publics censés être utilisés à bon escient pour l'amélioration des conditions de vie d'une population frappée par un taux de pauvreté monétaire officiel de 39%.
"C'est un grand deuil", entend-on souvent en raison de la qualité des participants et de la dimension des dépenses. " Aujourd'hui, on a de très très grosses personnalités qui nous entourent. C'est peut-être la chance que nous avons eue et c'est pour cela qu'avec leurs dons, nous avons pu rendre la fête grandiose", a dit Bernard Kelemba, un autre fils du grand notable de Fangang-Fokam, chef d'une tribu de 13 enfants et de nombreux petits-fils dont le nombre exact n'est pas connu.
Avec également au menu un office religieux, autre caractéristique des cérémonies de deuil au Cameroun, l'événement a notamment engendré dans le domicile familial une mise en place d'un décor digne d'une réception de fête : 10 chapiteaux, 56 tables, 500 chaises en plastiques et 1.000 nappes loués auprès d'un service commercial spécialisé, ayant pignon sur rue à Bafoussam, principale ville de l'Ouest.
"Nous louons un chapiteau à 25.000 francs (CFA, environ 50 USD) et le contrat est valable pour 48 heures renouvelables selon les besoins du client. Les chaises sont louées à 100 francs (0,2 USD) l'unité ; les tables et le nappes à 1.000 francs (2 USD) la pièce", a expliqué le jeune Romuald Tadié, employé depuis quatre ans dans les Ets Fifi et Nono, par ailleurs sollicités pour leur service traiteur.
Tchoumkeu s'est défendu pour justifier ce dispositif difficilement envisageable pour le Camerounais ordinaire aux revenus modestes en affirmant que "les gens viennent vous assister et ces gens viennent de loin. Ils ont des voitures, ils mettent du carburant, ils voyagent toute la nuit et ils arrivent dans votre village. Parmi eux, il y a des gens qui ont un standing de vie bien élevé : des directeurs de sociétés, des promoteurs économiques, etc. On ne va pas les faire rester debout sous le soleil. On doit dresser des tentes avec des chaises propres pour pouvoir les accueillir".
"Vous voyez, c'est un village ; il n'y a pas de restaurant ici, ni d'hôtel. Ça veut dire qu'il faut prévoir de leur donner à manger et à boire. C'est une règle simple d'hospitalité. Autant l'on est entouré par rapport à son statut social, autant l'on a des invités de marque et l'on va dépenser. Ces dépenses généralement ne viennent pas uniquement de la personne qui reçoit. Ceux qui viennent l'assister ne viennent pas seulement physiquement. Ils apportent aussi des présents", a-t-il ajouté.
Et les lendemains dans tout ça ? Si pour certains l'épaisseur du portefeuille met à l'abri des soucis, pour d'autres en revanche, bienvenus les cauchemars à cause des crédits à contracter ou déjà même contractés pour colmater les brèches.

Par Raphaël MVOGO
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