mardi 25 janvier 2011

Somalie - L'inquiétant rapport de Jack Lang sur la piraterie

(Le Monde 25/01/2011)
"Une course de vitesse est engagée avec les pirates au large de la Somalie", affirme Jack Lang dans le rapport qu'il vient présenter au Conseil de sécurité de l'ONU, mardi 25 janvier, avant de mettre en garde la communauté internationale : si une riposte ferme, claire et nette n'est pas organisée en extrême urgence, le processus de professionnalisation, d'amplification et d'intensification de la piraterie pourrait atteindre "un point de non retour".
Le document de 50 pages, qui décline à la manière d'une feuille de route vingt-cinq propositions, est le fruit d'une mission de cinq mois que lui avait confiée cet été le Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon. C'est à titre de conseiller spécial des Nations unies sur les questions juridiques liées à la piraterie au large de la Somalie, que l'ancien ministre français s'est rendu à deux reprises dans la région, et a mené d'intenses consultations avec près de 50 Etats, organisations internationales, compagnies privées et instituts de recherche.
"SOMALISER" DES SOLUTIONS
Jack Lang appelle les Etats concernés à changer d'approche face à ce fléau, qui pourrait à terme, selon lui, affecter l'ensemble de l'économie mondiale. La lutte contre la piraterie doit passer par une "somalisation" des solutions, insiste-t-il, l'idée étant que la communauté internationale concentre ses efforts sur la Somalie, qui est "à la fois principale source et victime de la piraterie".
Exit ainsi l'idée avancée par certains pays d'un tribunal international pour juger les suspects capturés, qui jusqu'ici, faute d'Etat de droit en Somalie, dans 9 cas sur 10 sont relâchés. "Inadapté, trop cher et trop long à mettre en place", lâche le député du Pas-de-Calais à son arrivée à New York. C'est une cour spécialisée somalienne mais extraterritoriale, installée temporairement à Arusha dans les locaux du Tribunal pénal international pour le Rwanda, qui a sa préférence.
L'envoyé spécial, qui espère le vote d'une résolution de l'ONU dans trois ou quatre semaines, dresse un état des lieux alarmant. "La piraterie ne connait aucun reflux depuis sa recrudescence au large des côtes somaliennes en 2007", souligne le rapport, qui dénombre au moins 1 500 pirates aux ordres d'une dizaine de commanditaires. Rien qu'en 2010, 1 200 personnes ont été prises en otage dans le golfe d'Aden, un record.
UNE INTENSIFICATION DE LA VIOLENCE EN 2010
L'année passée a d'ailleurs été marquée, selon le député français, par une intensification de la violence - pirates équipés d'armes automatiques de type AK47 et de lance-roquettes RPG-7-, un allongement de la durée moyenne de captivité (passée à 120 jours), une sophistication du mode opératoire (recours aux GPS, téléphones satellitaires…) et une extension de la zone des attaques au Sud (jusqu'au Mozambique) et à l'Est de l'Océan indien. Sans parler des rançons versées par navire, dont le montant a doublé, la dernière en date se serait élevée à 9 millions de dollars.
S'il tire son chapeau aux forces navales déployées depuis 2008 dans le golfe d'Aden pour leur "travail de police des mers" ayant permis une meilleure sécurisation du trafic maritime, il met en avant les limites d'une réponse uniquement militaire. Jack Lang propose donc de renforcer les mesures déjà mises en œuvre et d'en déployer de nouvelles, axées en priorité sur les régions stables et autoproclamées autonomes du Somaliland et du Puntland, dans le nord du pays. "Ces régions se disent déterminées à lutter contre la piraterie, prenons-les au mot !", lance l'envoyé spécial, convaincu qu'en échange d'une aide financière internationale, leurs gouvernements respectifs prendraient des "mesures concrètes pour poursuivre les commanditaires, rétablir l'Etat de droit dans les zones refuges des pirates et contrôler les côtes".
PRÉVENTION ET RÉPRESSION
Son plan d'action est composé de trois volets : économique, sécuritaire et juridictionnel/pénitentiaire. Il ne saurait y avoir de répression sans prévention, prévient Jack Lang. L'aide au développement économique et social de ces deux régions, et notamment du Puntland, où se situent les principales zones de refuge des pirates, est un élément-clé de son plan d'action. L'accent est mis sur les activités portuaires, de pêche, l'exportation de bétail et les télécommunications.
Sur le volet sécuritaire, le député français propose de rétablir des unités de police dans les zones de non droit et de renforcer les capacités d'enquête de police scientifique des Etats de la région. L'objectif, explique-t-il, est d'assurer un meilleur recueil des éléments de preuve pour remonter les filières et s'attaquer aux "gros bonnets mafieux" qui les dirigent et contre lesquels il encourage le Conseil de sécurité à adopter des sanctions individuelles. A l'heure actuelle, s'indigne Jack Lang, les empreintes des suspects et les numéros des billets de banque qui leur sont livrés pour régler les rançons sont rarement relevés, quant aux bateaux-mère, ils sont coulés !
Enfin, pour combler l'énorme vacuum juridictionnel et pénitentiaire qui sévit dans la région, l'ancien professeur de droit international appelle à la création, dans un délai de huit mois, de deux juridictions spécialisées au Puntland et au Somaliland, et à la construction de deux prisons de 500 places chacune. Coût estimé de cette opération : 25 millions de dollars. Un argument de poids, estime Jack Lang, quand on sait que le coût global de la piraterie est évalué à un montant de 7 à 12 milliards de dollars par an.

Alexandra Geneste
pour Le Monde.fr
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