(L'Express 12/11/2010)
Il faudrait un miracle pour que le procès des assassins présumés du fondateur de La Voix des Sans-Voix, qui s'ouvre ce vendredi devant un tribunal militaire de Kinshasa, échappe à une tenace malédiction: châtier des lampistes pour mieux protéger le régime.
Un procès pour la galerie? Ce vendredi 12 novembre comparaîtront devant une cour militaire de Kinshasa cinq policiers congolais, jugés pour "association de malfaiteurs, enlèvement, assassinat et terrorisme". Tous appartenaient au commando accusé d'avoir, le 1er juin dernier, enlevé et torturé à mort Floribert Chebeya, fondateur et directeur exécutif de l'ONG La Voix des Sans-Voix (VSV). Le corps sans vie de ce militant intransigeant des droits de l'homme, qui avait rendez-vous le mardi fatal en fin de journée avec le général John Numbi, inspecteur général de la police nationale, a été retrouvé le lendemain sur le siège arrière de sa voiture, le pantalon baissé et les mains menottées dans le dos. En revanche, nulle trace de son cousin par alliance Fidèle Bazana, membre et chauffeur de VSV, qui l'accompagnait au QG du premier flic du Congo-Kinshasa
C'est en vain que les compagnons de lutte des deux disparus ont réclamé l'arrestation de Numbi, qu'ils tiennent pour le "suspect n°1" des "assassinats" de Chebeya et Bazana. Suspendu des ses fonctions "à titre conservatoire" dès le 5 juin, le haut-gradé, réputé proche du président Joseph Kabila n'apparaîtra pas dans le box des accusés. Le tribunal retenu ne peut juger que des officiers de rang égal ou inférieur à celui de colonel... Autant dire que le renvoi du dossier devant cette juridiction s'apparente pour les animateur de VSV à un "déni de justice".
Chef des services spéciaux de la police et bras droit de John Numbi, le colonel Daniel Mukalay endossera donc à la barre, bien malgré lui, le costume de cerveau de l'opération. Peu après son incarcération, un conseiller de la présidence, cité par l'AFP, avait affirmé que Mukalay était passé aux aveux, tout en revendiquant le statut de "simple exécutant" soumis aux ordres de son supérieur. Il aurait même, aux dires d'un témoin, fait part de la rancoeur que lui inspirait le fait de "payer pour l'autre."
"L'ordre était bien de l'assassiner"
Au-delà du quintet incriminé, le tribunal militaire statuera, in absentia, sur le sort de trois autres membres présumés de l'équipée sauvage. Lesquels, "en fuite", seront en outre jugés pour "désertion". Le témoignage de l'un d'eux pourrait sans doute éclairer d'une manière décisive le genèse et le scénario de l'expédition punitive fatale à "Flori". Las!, le major Amisi Mugangu, qui craint pour sa vie, se planque dans un pays voisin de la RDC. A l'en croire, il a été exfiltré vers l'Ouganda via Brazzaville et Addis Abeba sur instruction -et avec le concours financier- du général Numbi. Le 8 octobre, à la faveur d'un échange de courriels, il nous a fourni de troublants détails.
De deux choses l'une: ou cet homme est bien celui qu'il prétend être, hypothèse que divers experts consultés tendent à accréditer; ou il est l'acteur d'une manipulation particulièrement sophistiquée. Lui affirme avoir été "arrêté et torturé" au Kenya par des agents aux ordres de Kabila et n'avoir échappé au rapatriement forcé vers Kinshasa que grâce à la bienveillance d'un policier local. Selon son récit, une embuscade avait été tendue aux abords de la maison de Chebeya dès le 23 mai, soit plus d'une semaine avant le kidnapping sans retour. Piège éventé par le retour précoce de l'intéressé. "L'ordre, affirme-t-il, était bien alors de l'assassiner". Voilà qui tend à contredire la thèse, largement répandue, d'une "correction" ayant mal tourné. Thèse corroborée, au moins en apparence, par le rapport d'autopsie qu'a rédigé une équipe composée de médecins légistes néerlandais et congolais. Si l'on en croit ce document, Chebeya a en effet succombé à un arrêt cardiaque consécutif à de mauvais traitements.
Aussi grotesque que macabre, la mise en scène visant à maquiller le décès en crime passionnel, voire sexuel, aurait été suggérée par une femme, commissaire principale et "chef d'escorte" de son état. On avait en effet disposé autour du cadavre des préservatifs usagés, un flacon de Viagra et des mèches de cheveux féminins. Le mobile de la liquidation? Mugangu invoque les recherches que la figure de proue de VSV était soupçonnée de consacrer à la fortune amassée par "Jo" Kabila, "évaluée en millions de dollars". Lors de l'interrogatoire, précise le fuyard, Daniel Mukalay le sommait de révéler "où se trouve le rapport." "Quel rapport?", demandait Chebeya. "Le rapport sur les biens de Son Excellence Joseph Kabila", répliquait Mukalay." Enfin, notre source affirme savoir avec précision dans quelle boucle du fleuve Congo le corps de Fidèle Bazana, assassiné lui aussi selon ses dires, a été immergé.
Qu'il s'agisse des éliminations de journalistes indociles ou de militants des droits humains, la justice congolaise -ou ce qui en tient lieu- a pour habitude de faire traîner les procédures, de les étouffer ou de châtier lampistes et seconds-couteaux. Au regard du retentissement qu'a eue, notamment à l'étranger, la mort plus que suspecte de Floribert Chebeya, pas sûr qu'elle s'en tirera cette fois à si bon compte.
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