lundi 15 novembre 2010

Egypte -Le riz, victime des restrictions sur les eaux du Nil

(Romandie.com 15/11/2010)

KAFR EL-CHEIKH (Egypte) - A Kafr el-Cheikh, gros bourg du delta du Nil, les paysans attendaient une saison rizicole prospère. Mais aujourd'hui, ils se désespèrent: pour économiser l'eau, "on nous interdit de cultiver le riz, alors nous n'avons plus de travail".
Soumise aux pressions des pays africains en amont du Nil pour une utilisation plus équilibrée du fleuve, l'Egypte a décidé de limiter drastiquement cette culture, forte consommatrice d'eau.
Mais cette mesure menace les approvisionnements et les prix de cette denrée de base, ainsi que les exportations et l'emploi agricole.
"Nous sommes censés être en pleine saison de travail, on attend cela toute l'année. Normalement, après la récolte du riz, nous travaillons jour et nuit pour répondre à toutes les demandes", souligne Mohammad, un paysan de Kafr el-Cheikh.
"Mais aujourd'hui, comme on a interdit de cultiver le riz dans plusieurs régions pour économiser l'eau, nous n'avons plus de travail", constate-t-il.
"Beaucoup de métiers dépendent de la production du riz: les paysans, les ateliers de traitement, le transport routier, l'exportation... C'est une industrie très importante pour Kafr el-Cheikh et une source de revenus essentielle pour ses habitants", souligne Ahmad Nasr, de la chambre de commerce de la ville.
Préserver ses ressources en eau est devenu un impératif pour l'Egypte face à la fronde de pays en amont comme l'Ethiopie, l'Ouganda, le Rwanda, le Kenya ou la Tanzanie, qui contestent le partage actuel des eaux.
Des traités de 1929 et 1959 accordent à l'Egypte des droits sur 55,5 milliards de m3 et au Soudan 18,5 mds, soit au total 87% du débit du fleuve le plus long d'Afrique.
Environ 20% du quota égyptien en eau va à la riziculture, selon des données officielles, une activité pour cette raison fortement réglementée par les pouvoirs publics qui l'interdisent au sud du Caire pour la confiner à quelques région du delta, traditionnel "grenier" de l'Egypte.
Suite aux restrictions, les rizières égyptiennes ne couvrent plus que la moitié de la surface qu'elles occupaient il y a deux ans, soit environ 460.000 hectares.
La production, de 3,8 millions de tonnes en 2009, dont environ 300.000 pour l'exportation, devrait être sérieusement amputée. Nombre d'agriculteurs se sont tournés vers des productions de substitution, mais elles sont le plus souvent moins rentables.
Les prix du riz à la consommation ne se sont pas envolés ces derniers mois, mais le risque existe à l'heure où les Egyptiens doivent faire face à une forte inflation sur des denrées comme la viande, la tomate et certains légumes.
L'Egypte, premier importateur de blé du monde, fait également face à l'arrêt des exportations de son premier fournisseur, la Russie, frappée par la sécheresse, devant acheter à grands frais des millions de tonnes de cette céréale sur les marchés mondiaux.
Pour limiter l'impact des restrictions à la riziculture pour le marché intérieur, les autorités ont interdit en juin et jusqu'à nouvel ordre les exportations, mais là encore la mesure a son revers.
"Nous allons perdre des marchés que nous avons difficilement remportés. Au lieu de gagner des devises, l'Egypte va devoir en dépenser pour importer. Nous allons nous retrouver avec le même problème que pour le blé", se lamente Ahmad Nasr.
D'autres critiquent le choix de l'Egypte d'orienter son agriculture vers des produits à forte valeur ajoutée à l'exportation, au détriment de productions destinées aux besoins de base de ses quelque 80 millions d'habitants.
"Pourquoi diminuer les surfaces cultivées en riz alors que c'est un aliment de base ?", s'interroge Habib Ayeb, de l'Université américaine du Caire, en soulignant que le pays exporte notamment des fraises qui demandent aussi beaucoup d'eau.

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