mercredi 3 mars 2010

Mali - Sécurité dans la bande Sahelo-Saharienne: Le Mali hypothèque la conférence pour faire plaisir à la France

(Temoust 03/03/2010)
En échangeant contre le Français Pierre Camatte quatre terroristes d’Al Qaeda au Maghreb (Aqmi) arrêtés et détenus sur son sol, le Mali a provoqué une crise diplomatique avec certains de ses voisins comme l’Algérie et la Mauritanie. Une situation qui ne cesse de se détériorer au risque d’hypothéquer pour de bon l’organisation d’une conférence internationale sur la sécurité dans la bande sahélo-saharienne. Un projet si cher au président Amadou Toumani Touré, mais qu’il a curieusement compromis pour faire plaisir à la France.
La libération des quatre terroristes d’Aqmi échangés contre Pierre Camatte (un otage français de 61 ans) ne cesse de faire des vagues entre Bamako, Alger et Nouakchott. L’une des conséquences prévisibles de cette décision des autorités maliennes, est le retrait de l’Algérie de "l’Accord d’Alger" qui avait mis fin à la rébellion au nord du Mali en 2006.
Signé le 4 juillet 2006 dans la capitale algérienne (entre les représentants de l’Etat malien et ceux de l’Alliance démocratique du 23 Mai pour le changement), l’Accord d’Alger pour la restauration de la paix, de la sécurité et du développement dans la région de Kidal fixe les modalités du développement du nord-Mali.
Et de nombreux observateurs pensent, avec le retrait du principal médiateur et facilitateur, des groupuscules peuvent être tentés de déstabiliser la région nord avec l’assurance de pouvoir se réfugier au sud de l’Algérie pour échapper à la répression de l’armée malienne. Cette décision avait été précédée du rappel des ambassadeurs d’Algérie et de la Mauritanie au Mali. Ces deux pays reprochent à Bamako, son laxisme dans la traque des éléments d’Al Qaeda. Déjà, le président Amadou Toumani Touré a été tout le temps taxé de "passeur de rançons" ou de "ventre-mou de la lutte contre le terrorisme" par ses homologues mauritanien et algérien.
"La France va soutenir le Mali pour la stabilité de son vaste territoire national. La France sera à vos côtés contre les terroristes et contre Al Qaeda" ! C’est l’assurance donnée la semaine dernière par le président français Nicolas Sarkozy venu chercher Pierre Camatte à Bamako. Certes la France a beaucoup œuvré à la formation et à l’équipement de l’armée et des forces de sécurités maliennes contre les terroristes. Mais, son appui ne peut pas permettre au Mali de se passer du soutien d’un pays comme l’Algérie, surtout pour la stabilité de son septentrion. Ce n’est un secret pour personne que c’est le refus de ce puissant voisin de servir de base arrière aux groupes rebelles qui a favorisé le retour de la paix dans le septentrion du Mali. En se désolidarisant de l’Accord signé sur son sol, l’Algérie s’ouvre implicitement aux groupuscules pour déstabiliser les régions nord du Mali. Ce qui fait craindre une résurgence de la rébellion pouvant hypothéquer tous les projets de développement initiés dans ces régions ces dernières années.
La conférence internationale hypothéquée
Sans compter que la crise diplomatique entre le Mali et ses voisins (Algérie et Mauritanie) sonne presque définitivement le glas de la conférence internationale sur la sécurité dans la bande sahélo-saharienne (du Sénégal au Soudan en passant par la Guinée, le Mali, le Niger, le Tchad, la Mauritanie…), programmée et reportée à plusieurs reprises. Malgré le soutien de la France et récemment de la Guinée-Conakry et le Sénégal, ce projet ne peut pas être concrétisé sans l’adhésion de la Mauritanie et surtout de l’Algérie.
Et pourtant, cette initiative chère au président Amadou Toumani Touré, peut être très efficace pour lutter contre l’essor pris par la branche saharienne d’Al Qaeda au Maghreb islamique (AQMI) qui, avec ses prises d’otages et son implication dans le trafic de cocaïne et d’armes, fait planer sur les Etats du Sahel la menace d’une criminalité rampante et de grande ampleur. Une menace préoccupante dans une région à stabilité précaire.
C’est dire que c’est la stabilité de tous les pays de cette bande sahélo saharienne qui est en jeu présentement. En effet, les rançons obtenues via les prises d’otages et les revenus du trafic de drogue permettent aux islamistes d’Aqmi de s’armer et de recruter parmi les populations pauvres de pays comme le Niger, le Mali, la Mauritanie et même le Burkina. Et cela à un moment où l’état-major de la branche algérienne du mouvement est sous pression. Pis, le trafic de drogue alimente un vrai réseau de trafic d’armes qui fait de toute l’Afrique de l’ouest une poudrière pouvant sauter à tout moment. Surtout que ces trafics se développent dans une zone dont l’importance va croissant à cause de l’immense potentiel pétrolier, gazier et minier des pays du Sahel.
Dans un récent rapport, les Nations unies reconnaissaient que "la cocaïne acheminée en Afrique de l’ouest par les cartels sud américains s’échange contre des armes". D’où sa crainte de voir ce trafic alimenter les nouvelles cellules terroristes liées au réseau Al Qaeda dans la région. "Il y a plus qu’un faisceau de preuves pour attester d’un lien entre les trafiquants de drogue et des groupes terroristes… De la drogue arrive en Afrique de l’ouest par l’Atlantique et est échangée contre des armes", avait souligné M. Antonio Maria Costa, directeur de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC). C’était en marge d’un sommet sur les stupéfiants récemment organisé à Dakar (Sénégal).
Aucun Etat ne peut faire face seul à la menace
"La force d’AQMI est que les Etats locaux sont faibles. Ils raisonnent plus souvent en termes de survie qu’en termes de stratégie", analyse l’ancien ministre malien de la Défense (ex-directeur des renseignements) Soumeylou Boubeye Maïga, aujourd’hui consultant pour les questions de sécurité. D’où toute la pertinence de l’initiative d’une conférence internationale sur la sécurité dans cette large bande. La communauté international ne doit pas assister impuissante à l’accentuation de cette menace qui plane sur ces pays défavorisés et surtout désarmés face à des terroristes bien informés et lourdement armés.
Les pays riches doivent agir et, si possible, exercer leur influence politique et financière pour que tous les Etats concernés adhèrent à cette initiative. Ils ont intérêt à agir parce que la drogue qui transite par l’Afrique de l’ouest est destinée à leurs populations. Et laisser ces pays devenir un no man’s land c’est s’ouvrir davantage au trafic de drogue aux conséquences socioéconomiques et politiques inimaginables. Sans dire que des pays comme le Mali, l’Algérie, la Mauritanie, le Niger… ne sont pas dénués de tout intérêt géostratégique pour l’équilibre des relations internationales.
Le lancement, le 18 février 2010 à Bamako, du programme de lutte contre le trafic de drogue et le crime organisé est un genre d’initiatives que la communauté internationale doit multiplier pour soutenir ces pays pauvres dans leur lutte contre Al Qaeda et les réseaux de trafic d’armes et de stupéfiants. Mais, elles ne suffisent pas seules comme mesures d’accompagnement. Il faut un soutien réel en termes d’équipements et surtout de formation.
Le renseignement est par exemple un handicap sérieux pour les forces armées et de sécurité de ces pays. Et c’est dans ces domaines qu’ils attendent plus des grandes puissances pour être très efficaces contre Al Qaeda et les réseaux de trafic de drogue et d’armes. Ils doivent aussi soutenir les initiatives de développement visant à améliorer les conditions de vie des populations locales, notamment les jeunes, afin d’éviter qu’elles soient une proie facile à recruter par les réseaux criminels à cause de leur extrême pauvreté.
Tout comme il est nécessaire que les pays concernés essayent de surmonter leurs divergences politiques et diplomatiques afin de mettre leurs forces en commun pour mieux sécuriser la bande sahélo-saharienne.
Il est vrai qu’en libérant des terroristes qui ont commis des crimes en Mauritanie et en Algérie, le Mali a mis des grains de sables dans le mécanisme de riposte communautaire dont la concrétisation est visiblement une priorité absolue pour son président. Mais, il faut surmonter cette crise pour le bonheur de tous les Etats de cette bande au cœur de toutes les convoitises.
Kader Toé Le Matin,
mercredi 3 mars 2010
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