(Le Monde 08/03/2010)
Faure Gnassingbé, le fils du général Eyadéma qui dirigea d'une main de fer le Togo pendant trente-huit ans, a été déclaré réélu avec 60,92 % des voix, samedi 6 mars au soir à Lomé. Mais son ambition d'être légitimé par un scrutin transparent, cinq ans après une élection truquée marquée par 500 morts, semble hors d'atteinte.
"N'ayant connaissance ni des résultats définitifs de l'élection présidentielle, ni des rapports définitifs des différentes missions d'observation électorale présentes sur place, je ne suis pas en mesure de répondre à votre question", a répondu à la presse Bernard Valero, porte-parole du ministère des affaires étrangères français. Il était interrogé sur le fait de savoir si la France reconnaissait la victoire du président sortant.
Non seulement son principal opposant, Jean-Pierre Fabre, crédité officiellement de 33,94 % des suffrages, clame qu'il est le véritable vainqueur et menace de recourir à la rue, mais le rapport préliminaire des observateurs de l'Union européenne (UE), qui a financé le scrutin, dénonce "des mesures insuffisantes de transparence".
Ce document, publié le 6 mars au nom des 130 observateurs européens, ne conforte pas les accusations de bourrage d'urnes et de faux bulletins de vote formulées par l'opposition, mais il pointe plusieurs sources d'irrégularités. L'inégalité entre les candidats s'est d'abord manifestée bien avant le vote du 4 mars, selon l'UE.
Un mois avant le début de la campagne officielle, seule autorisée, s'est développée une "campagne déguisée (...) massivement dominée par la machine électorale de Faure Gnassingbé". Le rapport note la "mobilisation des fonctionnaires" en faveur du président sortant et l'"utilisation de bâtiments publics". Mais surtout, les observateurs disent avoir été "témoins de distribution de riz à des prix trois à quatre fois inférieurs au prix du marché" par des militants du parti de M. Gnassingbé, une denrée connue sous le nom de "riz Faure". Ces sacs de riz proviennent de dons de partisans, s'est défendu le porte-parole du président sortant, Pascal Bodjona.
Le rapport de l'UE indique aussi que les médias d'Etat ont consacré "jusqu'à 96 % du temps de parole" au président sortant sans s'attirer les foudres de la "Haute Autorité " censée faire respecter l'égalité.
Le soupçon le plus grave émis par les observateurs européens concerne le mode de transmission des résultats locaux à la commission électorale "indépendante" chargée de les centraliser. Le processus a fait l'objet d'une note signée le soir même du vote "à 23 heures" par le seul président de la commission.
Enfin, le prérapport de l'UE insiste sur le fait que la mise en oeuvre, comme prévu, de la triple transmission des résultats "via une connexion Internet satellitaire, par fax et par GSM", seule à même de "garantir l'intégrité des résultats" s'est heurtée à une "résistance". Selon plusieurs sources, certains appareils de transmission sont "tombés en panne", ouvrant la voie à une transmission manuelle propice à la fraude.
Protestant contre un "coup de force électoral", les opposants se disent harcelés par l'armée. Ils appellent à la "résistance " et annoncent une "grande marche", mardi à Lomé. Reste à savoir si la population, traumatisée par la répression sanglante des protestations contre la fraude électorale en 2005, répondra à leur appel.
Philippe Bernard
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