mercredi 17 mars 2010

Le courroux d'Ali Bongo

(L'Express 17/03/2010)
Mis en ligne le 11 mars, l'entretien accordé à LEXPRESS.fr par André Mba Obame, figure de proue de l'opposition au président gabonais Ali Bongo, a suscité une riposte prompte et vigoureuse du gouvernement.
Le communiqué final du Conseil des ministres gabonais tenu le 12 mars dernier consacre ainsi une trentaine de lignes au "propos graves et particulièrement tendancieux" tenus sur LEXPRESS.fr par l'ancien ministre de l'Intérieur, André Mba Obame. "Si rien ne change, avait affirmé celui-ci, il y a aura un coup d'Etat avant la fin de l'année".
Au prix d'un exercice dialectique audacieux, le compte-rendu fustige les "nostalgiques de l'ordre ancien", accusés d'avoir annihilé la "volonté de réforme" du défunt président Omar Bongo Ondimba, et d'avoir laissé dans leur sillage un "champ de ruines". Parmi les travers reprochés aux "apôtres d'un repli identitaire nocif", citons l'"hystérie", le "tribalisme" et le "clientélisme.

Par Vincent Hugeux
"Si rien ne change, on va au coup d'Etat avant la fin de l'année"

(L'Express 11/03/2010)
Ancien ministre de l'Intérieur, rival malheureux d'Ali Bongo Ondimba lors du scrutin présidentiel du 30 août 2009, André Mba Obame, de passage à Paris, a répondu mercredi aux questions de L'EXPRESS.fr.
André Mba Obame est aujourd'hui le secrétaire exécutif de l'Union nationale, une coalition née de la fusion de trois partis d'opposition, que préside Zacharie Myboto. Interdit de voyage durant sept mois, "AMO" a obtenu un nouveau passeport début mars. "Moi qui ai envoyé des gens à l'ombre, confie-t-il, j'ai l'impression de sortir de prison. On apprend beaucoup de la vie et de ses épreuves.".
A la veille de la venue à Libreville de Nicolas Sarkozy, le 24 février, vous aviez souligné la nécessité de "dissiper des zones d'ombre" et de "lever des équivoques". La brève rencontre entre le président français et les leaders de l'opposition gabonaise a-t-elle en la matière répondu à vos attentes?
André Mba Obame: Disons que cette rencontre a été utile. Nous comprenons mieux aujourd'hui la volonté de neutralité des autorités françaises. S'il y a eu chez nous un coup d'Etat électoral, on ne peut l'imputer à Paris. L'opposition n'a jamais cherché à se retrancher derrière un paravent français. Il s'agit d'abord d'une affaire gabono-gabonaise.
Vu de Libreville, épicentre historique de la Françafrique, que reste-t-il des promesses de "rupture" de l'Elysée?
La relation entre la France et l'Afrique vit une période de transition. Mais à mon sens, le choix fondamental a été fait. La volonté de rompre, de tourner la page est là. Nicolas Sarkozy a intérêt à cette rupture. Lui n'a pas partie liée avec le système françafricain. Il a d'ailleurs pris des décisions courageuses, telle la révision des accords de défense.
Mais il a aussi fait de l'avocat Robert Bourgi, incarnation de la persistance des archaïsmes dénoncés par ailleurs, son invité personnel lors du voyage de février.
Une politique, même bien pensée, ne vaut que ce que valent ceux qui la mettent en oeuvre. Robert Bourgi connaît du monde, mais sans doute n'a-t-il pas envie d'utiliser son carnet d'adresses au profit de la rupture. On a toujours besoin d'émissaires, d'intermédiaires. Encore faut-il que ceux-ci n'aient rien à gagner au statu quo ou à la collusion avec les milieux affairistes. Il y a, à l'évidence, un risque de piratage, de manipulation, de la part d'individus qui agissent au nom de Sarkozy, voire à son insu.
Il y a un risque de piratage, de manipulation, de la part d'individus qui agissent au nom de Sarkozy, voire à son insu.
Quel bilan brossez-vous des premiers pas présidentiels d'Ali Bongo?
Dire qu'il s'est donné tant de mal pour prendre le pouvoir. Quand on voit l'usage qu'il en a fait... Son échec est patent. Echec politique d'abord, qu'atteste une régression démocratique. L'opposition n'a pas droit à la parole. Elle n'a pas accès aux médias et ne peut tenir meeting public. Quant à la fonction publique, elle est le théâtre d'une chasse aux sorcières. Aujourd'hui, les meilleurs cadres du pays sont assis à la maison. On a viré en un jour 400 d'entre eux, à commencer par des directeurs généraux ou des secrétaires généraux de ministères et leurs adjoints, remplacés par des nouveaux venus inexpérimentés.
Ainsi décapitée, l'administration est en panne. Sous prétexte d'assainir, il s'agit de promouvoir les siens aux postes-clés. De même, au nom de la lutte contre le gaspillage, on place diverses agences d'Etat -et leur budget- sous la coupe de la présidence.
Cela signifie-t-il qu'à vos yeux, le Haut-Oogoué, fief de la famille Bongo, demeure privilégié?
Je n'ai pas envie de le dire ainsi, mais les faits sont là. Que cette région soit bien représentée, c'est normal. Qu'elle soit sur-représentée, ça ne l'est pas.
Que traduisent les soubresauts observées récemment sur le front social?
Le mécontentement est général. La pilule de l'élection frauduleuse n'est pas encore passée. Même si nous faisons tout pour calmer le jeu. Il n'y a pas eu de marches ou d'appels à la désobéissance civile. Nul doute que, dans cette hypothèse, le pouvoir n'hésiterait pas à tirer sur les gens. Il y aurait des morts et la situation échapperait à tout contrôle.
La pilule de l'élection frauduleuse n'est pas encore passée.
Récemment, les étudiants sont descendus dans la rue pour réclamer le versement de bourses en souffrance depuis deux mois. On leur a envoyé la gendarmerie. Il y a eu des blessés, et peut-être même un tué. Les enseignants ont certes mis un terme à quatre mois de grève, mais je ne serais pas surpris que le mouvement reprenne. On a l'impression que le gouvernement s'en fout, qu'il laisse sciemment pourrir les conflits. Même topo dans le secteur de la santé. Si ça continue comme ça, on va au coup d'Etat avant la fin de l'année. Un coup d'Etat à la nigérienne. Voilà peu, plus de 300 militaires ont donné 24 heures au gouvernement pour que leur soit enfin versée la solde due. Et ils ont obtenu gain de cause.
Le secteur privé lui-même n'échappe pas au marasme. Il y a quelques années, le parlement avait adopté un code forestier selon lequel, à l'horizon 2012, 75% du bois gabonais devrait être transformé localement. Et voilà que le pouvoir décrète fin 2009 une interdiction d'exporter portant sur la totalité des grumes, et ce dès l'exercice 2010. De quoi affecter gravement un secteur qui constitue le deuxième gisement d'emploi du pays après la fonction publique.
Quel objectif assignez-vous à l'opposition pour les législatives de l'an prochain?
L'Union nationale présentera alors un candidat pour chacun des 120 sièges à pourvoir. Et nous discutons déjà d'un accord de gouvernement avec l'ACR, l'autre pôle de l'opposition -référence à l'Alliance pour le changement et la restauration, coalition emmenée par l'Union du peuple gabonais (UPG) de Pierre Mamboundou, NDLR.
Ali Bongo peut-il selon vous, à l'instar de son défunt père, monnayer le ralliement de ses opposants?
Je crois qu'on est vacciné contre ce péril. A ce stade, personne de chez nous n'a traversé la rivière. Aucune figure de notre mouvance n'est allée à a la soupe. Au contraire, la volonté d'agir ensemble prévaut. Tout le monde a compris que l'émiettement interdit l'alternance.
Qu'est-il advenu de votre relation, hier privilégiée, avec le nouveau président?
Nous étions proches car nous étions l'un et l'autre au service d'un même chef, hélas disparu pour ne plus revenir. Nous faisions ce que lui nous demandait de faire. Ali, c'est toujours mon frère. Même si lui me considère simplement comme un compatriote. Je reste le parrain d'un de ses enfants. Mais il est vrai que nous avons emprunté des chemins différents. Nous sommes adversaires politiques. D'ailleurs, on ne se parle pas.

Par Vincent Hugeux
© Copyright L'Express

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire