lundi 8 mars 2010

Senegal - STATUE DE LA RENAISSANCE AFRICAINE : Entre émotion, déception et regrets

(Leader Africa 08/03/2010)
« Que je respire l’odeur de nos Morts, que je recueille et redise leur voix vivante… » « Que j’entende le chant de l’Afrique future. » Léopold Sédar Senghor, Chants d’Ombre.
Une fresque retraçant les souffrances du peuple noir occupait tout un pan du mur de ma chambre d’adolescence. Elle racontait l’esclavage : villages en flammes, populations en fuite, caravanes de négriers escortées par des hordes d’hyènes, de chacals et de charognards … Elle racontait la colonisation : pillage des ressources, travaux forcés, exils et guerres de résistance (paysans contre tirailleurs, fusils à poudre contre canons) … Sans oublier les batailles de libération, la balkanisation et le dénuement de l’Afrique indépendante… Au centre de la fresque, une larme énorme. Dans la larme, un homme et sa femme enceinte sur les visages desquels se lisait la souffrance des siècles. Même l’enfant dans le sein de sa mère était triste et inquiet… Et, très souvent, les yeux fermés, j’imaginais la larme libérant ses prisonniers telle une femme enceinte l’enfant qu’elle ne peut plus contenir.
Quand j’ai entendu le Président Wade parler de ce couple surgissant du volcan, j’ai ressenti une certaine émotion
Quand j’ai entendu le Président Wade parler de ce couple portant son enfant à bout de bras, surgissant du volcan et symbolisant « l’Afrique quittant l’obscurantisme pour aller vers la lumière », j’ai ressenti une certaine émotion, tellement l’image est forte, puissante et a réveillé mes souvenirs en me replongeant dans l’ambiance picturale de ma chambre d’adolescence. Une belle idée, il est vrai, ainsi déclinée par son porteur : « À l’instar de la Statue de la Liberté aux États Unis, l’Arc de Triomphe et la Tour Eiffel à Paris, je veux donner une certaine image de la renaissance africaine. Après six siècles de ténèbres nous allons vers la lumière. » « L’homme, la femme et leur enfant feront face au soleil, symbolisant l’ouverture du continent au reste du monde. C’est une force de propulsion et d’attraction dans la grandeur, la stabilité et la pérennité de l’Afrique.» Ambition noble, vision prophétique faisant écho, me semble-t-il, au cri d’Aimé Césaire : « Au plus bas de la fosse. C’est là que nous crions ; de là nous aspirons à l’air, à la lumière, au soleil. » David Mandessi Diop de renchérir : « Il a gravi la route amère le Nègre… » « Voici que s’élève grave La flamme multicolore de la Liberté... » Et Robert Nesta Marley de chanter : « On revient, revient, revient, On revient de l’enfer… »
À la vue de ce paquet de muscle de bronze, j’ai éprouvé un sentiment de déception
Hélas, à la vue de ce paquet de muscles de bronze sur les mamelles, j’ai éprouvé un sentiment de déception mêlée de regrets et j’ai compris alors que les idées seules ne font pas l’art ; et j’ai pensé à ces mots du sculpteur français, Auguste Rodin : « Quand un bon sculpteur modèle des corps humains, il ne représente pas seulement la musculature, mais aussi la vie qui les réchauffe. » Car le plus important en art plastique, ce n’est pas le discours de l’artiste, mais ce que dit l’œuvre. Le plus important c’est qu’elle rende les idées et les sentiments et réveille des émotions. « Tous les arts sont comme des miroirs où l’homme connait et reconnait quelque chose de lui-même », disait le philosophe Alain. Mais la particularité de l’Afrique, « c’est sa volonté de rythme et sa puissance pathétique », précise André Malraux qui définit la sculpture africaine comme « des signes chargées d’émotions et créateurs d’émotions ». « Liberté audacieuse, rythmes puissants, richesse de l’invention plastique telles sont les caractéristiques de l’art Nègre », disait Cheikh Anta Diop.
La statue d’Ouakam n’est pas à la hauteur de l’ambition exprimée par son concepteur…
Or, malgré ses 50 mètres, la statue d’Ouakam, village Lebu de Dakar, n’est pas à la hauteur de l’ambition exprimée par son concepteur : symboliser la renaissance africaine. Elle n’est même pas suffisamment Nègre, protestent d’aucuns. En effet, ces trois personnages conçus par des Coréens ne sortent pas de « six siècles de ténèbres », ils n’ont pas séjourné dans la « fosse », ils n’ont pas « gravi la route amère », ils ne « reviennent pas de l’enfer ». Beaucoup de signes prouvent l’imposture : on ne voit pas sur leur visage les stigmates d’un séjour forcé dans les entrailles de la terre entre désirs inassouvis, meurtrissures et langueurs. Leurs mains, leurs pieds et leurs genoux ne racontent aucune remontée difficile. Leur regard ne dit pas l’épopée. Aucune trace de fouets, de chaines ou de carcans sur leur corps de « Monsieur et Madame » sans perle ni talisman ni cauri. Des professionnels d’art plastique disent, et avec raison, que l’homme, malgré son bonnet, rappelle Rambo (un hollywoodien, prototype du héros américain), la dame les danseuses de la Grèce antique, l’enfant ces bébés tout en rondeur des publicités.
La statue de la Renaissance Africaine devrait parler au monde, crier au monde…
Or, la Statue de la Renaissance Africaine devrait, par sa force de suggestion, émouvoir le monde. Toutes les souffrances et les misères du Nègre, son endurance ainsi que sa détermination à reconquérir le soleil devraient être dites par l’œuvre. Mieux qu’un poème, elle devrait parler au monde, crier au monde les faims et les soifs du peuple noir. En la contemplant, les esprits avisés devraient « respirer l’odeur des morts, entendre leur voix vivante ainsi que le chant de l’Afrique future ». Je pense aux statues et masques pleins d’âme des Dogons, et à certaines pièces du sculpteur sénégalais Ousmane Sow dont « Sitting Bull en prière ». La souffrance n’efface pas la beauté, elle la sublime. En vérité, la Statue de la Renaissance Africaine ne doit avoir rien à voir avec la Statue de la Liberté ni avec la Tour Eiffel. Car là, il s’agit de l’Afrique et de l’homme noir. Il s’agit non pas d’un pommier en fleurs dans un jardin arc en ciel, mais d’un jeune baobab à moitié calciné dans une forêt de cramcrams ; et « Qui repousse patiemment obstinément ». Pour parler comme David Mandessi DIOP. « C’est d’une remontée jamais vue » qu’il s’agit, disait Aimé Césaire, avant de préciser : « À chaque peuple ses monuments ! » « À ce peuple qu’on veut à genou, il faut un monument qui le mette debout, bâti par le peuple tout entier, pour le peuple tout entier. »
Je regrette que le Président Artiste ait raté une occasion de grande création
Hélas, le Président Wade ne propose pas, il impose. Il politique toujours, ruse et s’abuse souvent. Il court des rêves… Après son « Hymne de l’Afrique », il veut sa « Statue de la Renaissance Africaine ». Il semble oublier que la concertation et le dialogue sont des vertus essentielles de l’Afrique, terre communautaire par excellence. Il ne sait pas que la fraternité nécessaire à la survie des peuples nait de l’entente et de la collaboration. Et, je regrette, qu’une fois de plus, le Président Artiste ait raté une occasion de grande création. En effet, s’il avait fait preuve d’humilité, de générosité et pris la peine de consulter son peuple, de demander conseils aux artistes et intellectuels africains : quels avis il aurait reçu ! Quelles images sublimes lui seraient proposées comme symbole de la renaissance africaine ! J’imagine : une famille d’esclaves brisant chaines et carcans. Soundiata vainquant son handicap devant Balla Fasséké chantant ses louanges, ou bien offrant un baobab à sa mère Sogolon à qui on refusait des feuilles. Sidya Ndate Yalla écartant Faidherbe son tuteur charmeur de sa main gauche et tendant sa droite à son peuple en liesse levant étendard. Mandela sortant de prison un soleil dans les mains. 3 jeunes africains brandissant chacun une partie de la devise : Un Peuple, Un But, Une Foi. 4 lions rouges rugissant (ou 4 grandes figures d’Afrique) l’un tourné vers l’Est (les origines), le deuxième vers l’Ouest (le futur), le troisième vers le Nord (les difficultés), le quatrième vers le Sud (l’apaisement)… Ou bien, on lui aurait tout simplement conseillé, à l’instar de Léopold Sédar Senghor, « de laisser affluer le sang noir » dans les veines de son ouvrage …
Car, le refus de la mort spirituelle, du pourrissement moral, de l’abdication et de l’aliénation, c’est la renaissance. Le désir de survivre, d’avancer en restant soi-même, c’est la renaissance. Se souvenir, c’est renaitre. Prendre conscience, c’est renaitre.

ABDOU KHADRE GAYE,

Écrivain,
Président de l’Entente des Mouvements et Associations de Développement (EMAD),
Email : emad_association@yahoo.fr,
Tel : 33 842 67 36


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