mardi 9 novembre 2010

R.D.C. -Jean-Claude Masangu Mulongo, père du franc congolais

(Les Afriques 09/11/2010)

« Une monnaie unique, pour un peuple uni ». Pour donner corps à cet ambitieux objectif, la RDC a fait appel à un natif du Katanga, cette province qui avait fait sécession à l’indépendance du pays, en 1960.
Le zaïre, la monnaie instituée en 1967 par Mobutu Sesse Seko en remplacement du franc congolais, a symbolisé le règne de l’ancien homme fort d’un pays, qu’il débaptisa Congo pour l’appeler Zaïre. La monnaie prit également la même dénomination, dans l’euphorie d’un Zaïre triomphant, courtisé par les grandes puissances occidentales en raison de ses immenses ressources naturelles, mais aussi parce qu’il se pose en bouclier des valeurs occidentales. Car, dans l’Angola voisin, l’Union soviétique, la Chine et Cuba se sont engagés dans une guerre sans merci contre l’Afrique du Sud de l’apartheid, tête de pont de l’Occident pour empêcher le marxiste Mouvement populaire de Libération de l’Angola d’arracher le pouvoir à un Portugal sur le déclin.
La parité fixée par Mobutu était de un zaïre pour 0,5 dollar. Symbole du régime, le zaïre décline avec le pouvoir de Mobutu. La mauvaise gouvernance, sous l’œil complice de l’Occident, précipite la descente aux enfers du pays. En 1992, il faut 1 990 000 Z pour 1 dollar. On va au restaurant avec un sac pour payer en monnaie locale, que l’on ne compte plus. Pour enrayer cette spirale, Mobutu introduit, en janvier 1993, un billet de 5 millions de zaïres. Des émeutes éclatent en réaction. Malgré tout, en octobre 1993, le nouveau zaïre, d’une valeur de 3 millions pour un ancien zaïre, est institué.
Après le zaïre, le franc congolais
Dès sa prise de pouvoir, le nouvel homme fort du Congo comprend l’enjeu monétaire. Laurent-Désiré Kabila supprime le zaïre pour le remplacer par le franc congolais, en 1998.
L’artisan de cette rupture essentielle avec l’ancienne gestion est Jean-Claude Masangu-Mulongo. A 44 ans, il n’a alors aucune expérience de banque centrale. En revanche, il a reçu une solide formation. Fils d’un diplomate, il a étudié en Belgique, en Suisse (École internationale de Genève) et aux États-Unis (Worcester Polytechnic Institute et Louisiana State University). En 1972, il décroche un diplôme d’ingénieur en nucléaire et commence sa carrière professionnelle à la CONALCO, filiale de l’entreprise suisse Alusuisse. Il ne décroche pas de l’université et il obtient, en 1980, un Master en Business Administration en finance. Ce diplôme obtenu, il décide de retourner au pays, en 1981. Pas vraiment à l’aventure, puisque la Citibank de Kinshasa lui ouvre ses portes. Mariage réussi. Il y sert pendant dix-sept ans, ne la quittant que pour rejoindre la Banque Centrale du Congo, à la demande du président Laurent-Désiré Kabila, en 1997. Régulièrement reconduit dans ses fonctions par le fils, Joseph Kabila, jusqu’à ce jour il en a été l’unique gouverneur.
L’emblème du nouveau Congo
Plus qu’une monnaie, le franc congolais est l’emblème du nouveau Congo et de son nouvel ordre politique, et surtout économique. Pour relancer une économie au plus mal dans un contexte d’occupation du pays par des troupes étrangères et de guerre civile à l’est, c’est naturellement vers les institutions de Bretton Woods, porte obligée de la coopération internationale et de ses subsides, que se dirige le nouveau pouvoir.
Les négociations entamées avec le Fonds monétaire international débouchent sur la conclusion d’un Programme Intérimaire Renforcé (PIR) d’environ un an, de mai 2001 à mars 2002. Un simple appui technique permettant la conclusion d’un Programme économique du gouvernement, PEG, conclu pour avril 2002 à mars 2006.
La RDC accède enfin aux ressources du FMI. 580 millions de DTS au titre de la Facilité pour la Réduction de la Pauvreté et la Croissance (FRPC). La dernière évaluation n’en est pas satisfaisante. Pas de 6e décaissement donc. Le FMI concocte, toutefois, un Programme Relais de Consolidation, pour remettre les pendules à l’heure en soumettant le pays à un drastique ajustement, sans appui financier. C’est en décembre 2009 que le deuxième Programme économique du gouvernement est enfin conclu, qui donne droit à un décaissement de 551,45 millions de dollars.
La Banque Centrale congolaise, et donc son mythique président, sont au cœur de la négociation avec le FMI. Des cinq priorités du PEG, deux relèvent directement de la BCC : ramener le taux d’inflation en dessous de 10% en 2012 et atteindre un niveau de réserves brutes équivalant à dix semaines d’importations.
Mesures impopulaires
Pour lui permettre de jouer son rôle, parmi les mesures structurelles prescrites, figure « la réforme de la Banque Centrale, en vue de rétablir son indépendance et de renforcer son pouvoir de surveillance avec l’aide de l’assistance technique du Département des marchés monétaires et de capitaux du FMI ».
Le gouverneur n’entend, du reste, pas se dérober aux yeux de ses compatriotes de ses responsabilités dans la partie cruciale pour son pays. « La BCC est déterminée à poursuivre la mise en œuvre du processus de renforcement de ses capacités institutionnelles dans le but de réaliser l’objectif premier de son objet social, à savoir la stabilité des prix intérieurs », assure-t-il.
Vaste programme, dans un pays où la monnaie, une décennie plus tôt, se « dépréciait de 80% par an », où coexistaient plusieurs monnaies. Il n’hésite pas à prendre des mesures très impopulaires. « Nous avons réalisé des choses qui paraissaient impossibles. Par exemple, la décision de faire flotter la monnaie nationale par rapport à la devise américaine. Il y avait beaucoup de réticences, mais nous avons fait preuve de courage et le résultat est que nous sommes parvenus à assurer la stabilité pendant sept ou huit ans de suite, avec des taux de dépréciation de seulement 10% par an en moyenne », confie-t-il à Jeune Afrique.
Les résultats au rendez-vous
Le gouverneur ne paye pourtant pas de mine. De fines lunettes d’intellectuel, des cheveux et moustache poivre-sel soulignent la fragilité apparente que lui confère son handicap, conséquence de la poliomyélite qui l’a frappé dans son enfance. Ce handicap a plutôt renforcé son caractère, comme il le note dans son autobiographie, Pourquoi je crois au progrès de l’Afrique. Credo d’un banquier africain.* Préfacé par l’ancien directeur général du FMI, Michel Camdessus, l’ouvrage raconte les défis de son enfance, ses relations avec un père sévère, mais de bon conseil, son handicap physique, la guerre, la mort de Kabila père.
Ayant déjà fort à faire avec « sa » banque, M. Masangu doit aussi faire face à d’autres défis. En juin 2008, la BCC est accusée par la justice belge de blanchiment d’argent. Des faits qui remontent à 1999, a-t-il expliqué. Pour contourner l’embargo sur les armes qui frappait le pays, la BCC avait réglé une facture de 80 millions de dollars. Ses explications n’empêchent pas le parquet belge de l’inculper.
En décembre 2009, un député, Emery Okundji Ndjovu, le soupçonne de vente nébuleuse d’immeubles de la BCC, et l’interpelle au Parlement. Non, se défend-il, « la Banque Centrale a opté pour une vente par adjudication publique, ayant permis de réaliser une plus-value de 11,820 millions de dollars ». Plus récemment, le 16 septembre dernier, la BCC a été victime d’un sabotage informatique, selon le gouverneur, mais « aucun franc, ni aucun dollar n’a été perdu », a-t-il assuré.
Malgré tout, les résultats sont au rendez-vous, à en croire le FMI. En mission d’évaluation, en septembre dernier, l’institution s’est dite globalement satisfaite de la bonne exécution du programme économique, citant notamment « une inflation plus faible arrêtée désormais à un chiffre (9%), des réserves internationales de la Banque Centrale plus élevées, atteignant un niveau jamais égalé depuis 20 ans ».
Chérif Elvalide Sèye
Masangu Jean-Claude, Pourquoi je crois au progrès de l’Afrique. Credo d’un banquier africain, Prestige Communication, Paris 2009, 232 p.

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