(Le Pays 04/05/2010)
Le Togo officiel est en fête : l’investiture de Faure Gnassingbé est l’occasion rêvée de mettre les petits plats dans les grands, ne serait-ce que pour donner l’impression de jeter aux oubliettes toute la tambouille qui précéda et entoura cette présidentielle. Car il faut l’admettre, à ce jour, la nation togolaise ne fait pas l’unanimité pour reconnaître la victoire de Faure pourtant déclaré vainqueur par la CENI, en sa proclamation du 6 mars 2010.
Qu’importe. La victoire est légale et cette investiture l’est tout autant. Elle aura traîné avant de voir le jour, puisque, intervenant pratiquement deux mois après la date du scrutin. Mais tout de même elle a lieu, l’honneur est sauf. Des chefs d’Etat amis seront là pour la circonstance, par amitié et par solidarité. Au passage, ils consacreront de leur présence la « légitimité » de l’élu. Pour le cas togolais, ils ne seront pas légion. Quatre, cinq, ce n’est pas pléthore. Mais qu’importe, c’est le symbole qui compte. Et puis, faute de grives, on mange des merles. La fête a lieu. Enfin.
On ne manque d’ailleurs pas de voir dans ce manque d’empressement de Faure à étrenner son nouveau mandat, une volonté d’affirmation d’une certaine assurance. L’homme n’a pas peur. Il y a eu le scrutin, on a voté et il a gagné. Il n’y a pas de quoi s’agiter ou se précipiter outre mesure, en dépit des contestations d’une opposition qui ne décolère pas et demeure convaincue que la victoire lui a été volée. Et voilà Faure revêtu du pouvoir et des insignes de son nouveau mandat. Que peut en attendre le Togo ? Qu’apportera Faure ? Et sous quel signe se présentera la nouvelle présidence du fils Gnassingbé ? Plus que jamais, le Togo, à ce jour, est un pays divisé, aux clivages réels et bien ancrés. La dernière présidentielle aura d’ailleurs montré la profondeur de l’abysse qui sépare pouvoir et opposition. Les fractures politiques et sociales n’y sont pas de simples vues de l’esprit et si officiellement le Togo est en ce moment à la fête, force est de reconnaître que ce n’est pas l’ensemble de la nation togolaise qui aura le cœur à la fête.
Il demeure beaucoup trop de rancœur, de ressentiment et de haine pour que l’union de la nation tant souhaitée par le vainqueur du moment se réalise pleinement. "L’heure du pardon a sonné, disait le président nouvellement élu, la veille de la fête de l’indépendance du pays. Notre pays, plus que jamais a besoin de paix. Nous devons faire fi de manœuvres politiciennes qui ne visent qu’à assouvir des ambitions secrètes…" Mais on doute que de savants discours sur les notions de "compréhension", de "solidarité", de "fraternité" et d "unité" suffisent pour combler le fossé béant qui sépare désormais les Togolais et divise la nation en deux camps bien retranchés. Et cependant, ce nouveau mandat est d’un enjeu capital pour le proche avenir de ce pays en bute aux démons de la division.
Le calme apparent qui prévaut, le temps de la fête de l’investiture ne devrait pas masquer les vrais problèmes qui demeurent en latence. Les épineuses questions du fichier électoral et du scrutin à tour unique sont bien là et aussi longtemps qu’on ne leur trouvera pas de solution consensuelle, l’union tant souhaitée restera insaisissable, à l’instar de la fantomatique arlésienne.
Plus, le Togo souffre depuis belle lurette d’une véritable crise de sa gouvernance. Ce pays, depuis l’ère de Gnassingbé père, peine à trouver la vraie voie d’une saine et crédible démocratie. Le ressentiment de bien des opposants togolais à ce jour provient du bien amer constat qu’ils ne manquent d’établir lorsqu’ils réalisent que des années après la mort du père, le fils n’a pas entièrement quitté les sentiers tracés par son présidentiel géniteur.
Bien sûr, à l’actif de Faure, il faut le reconnaître, le Togo n’est pas, à ce jour, dirigé par une main de fer, à l’instar de ce que fit Eyadéma à un moment de son histoire. Mais on était en droit de s’attendre à mieux. On pouvait espérer que son accession à la présidence se fasse sans les cadavres qu’elle a occasionnés, tout comme on avait souhaité que les bastonnades, menaces et intimidations déjà en cours sous l’ère du père, soient définitivement bannies à l’avènement du fils. Pour tout dire, il était légitime d’espérer que Faure s’inscrirait résolument dans la dynamique d’un changement en vue de la recherche d’une vraie démocratie qui aurait pour base une bonne gouvernance. Mais là, il faut le reconnaître, son premier mandat n’en fut pas vraiment à la hauteur. D’où, à la fois, espoir et inquiétude que l’on ressent légitimement à l’entame de ce deuxième. Qu’en fera-t-il ? D’aucuns lui prêtent déjà l’intention de se durcir. Il n’aurait attendu que la légalité de l’investiture pour se revêtir de la légitimité requise afin de se donner le droit de réprimer et réduire les manifestations de contestation de sa victoire. Info ou intox, on attendra pour le savoir.
Mais en tout état de cause, le fils Gnassingbé, à supposer qu’il médite de telles velléités, devrait sans doute songer à revoir sa copie ainsi que les conseilleurs qui l’entourent. Le fossé de division qui sépare les Togolais est si grand qu’en toute rationalité, il n’est pas permis qu’il se livre au jeu dangereux de vouloir briser des idées par la force du poignet. Ni lui, ni les Togolais n’ont intérêt à ce qu’un jour le pays s’embrase. Et pourtant des initiatives de cet acabit sont de celles qui, très vite, achèvent de mettre le feu aux poudres.
Car les Togolais, déjà plus que lassés par le long règne du père, refuseraient certainement de s’accommoder de quelque inutile relent dictatorial du fils. Et puis, l’ère de papa est bel et bien révolue. Le Togo peut retrouver son lustre d’antan : on se rappelle le temps où il méritait l’appellation flatteuse de "Suisse de l’Afrique". Mais il y a sans doute un prix à payer, sans compromission, et sans complaisance : le prix de la démocratie, doublé de celui de la bonne gouvernance. Une terrible gageure que Faure se doit assurément de relever.
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