jeudi 6 mai 2010

Sénégal - La tentation politique de Youssou N'dour

(Slate.fr 06/05/2010)
Le chanteur sénégalais, qui a déjà crée un journal et une radio dans son pays, vient de lancer un mouvement politique.
Vue de Paris cette hypothèse peut paraître improbable. La France n'a pas l'habitude d'appeler ses chanteurs aux plus hautes fonctions. Johnny Hallyday n'a guère de chance de gravir un jour le perron de l'Elysée. Si ce n'est pour venir saluer le locataire des lieux. Et pourtant, à Dakar cette idée fait son chemin. Même si le pays a coutume d'être dirigé par des intellectuels. Le premier chef de l'Etat du Sénégal ayant été Léopold Sédar Senghor, le président-poète de 1960 à 1980.
Mais les temps changent: le chanteur sénégalais vient de créer un mouvement politique qui a pour but de «peser sur l'avenir du pays». Il s'appelle «Fekke maci bolé» (ce qui veut dire en wolof "C'est parce que je suis témoin (Ou présent) que j'y prends part". Autre manière de dire qu'il est impliqué dans les défis de son temps).
La popularité de Youssou N'dour, 50 ans, est immense au Sénégal. Sa musique, le mbalax est la plus écoutée. Mais au-delà de l'aspect purement musical, c'est l'homme qui est respecté. Célèbre au Japon comme en Europe ou en Amérique, il a montré depuis longtemps qu'il n'était pas simplement un «excellent ambassadeur» pour le Sénégal.
Fidèle à son pays
Contrairement à beaucoup d'Africains qui ont réussi, il est resté fidèle à son pays d'origine: il vit toujours à Dakar, sa ville natale. Et surtout il a investi au Sénégal. «J'ai d'abord mis de l'argent dans le secteur que je connais le mieux» affirme Youssou N'dour qui possède une salle de concert et un studio d'enregistrement dans la capitale sénégalaise.
Par la suite, il a investi dans les médias. Il a créé L'observateur, l'un des principaux quotidiens sénégalais. Selon lui, «le titre le plus lu en Afrique de l'ouest».Youssou N'dour possède également une radio, RFM, qui serait, d'après des sondages récents, la plus écoutée de Dakar. «Mon groupe médiatique est le plus important du Sénégal», affirme-t-il avec une certaine fierté. Celle de l'autodidacte, l'enfant pauvre de la médina, l'un des quartiers populaires de Dakar, devenu l'un des hommes les plus puissants du pays.
Ses médias ne sont pas uniquement des succès d'audience. Ils sont aussi considérés comme très crédibles. «RFM est l'une des radios les plus professionnelles d'Afrique. Et les journalistes affirment qu'ils ne subissent pas de pression de sa part. Ils sont libres de faire leur métier comme bon leur semble» explique le correspondant dakarois d'un grand media occidental.
Bon gestionnaire
Youssou N'dour développe aussi des activités de microcrédit dans les quartiers populaires et compte créer une banque. Contrairement à George Weah, une autre star africaine qui s'était lancée en politique, le Dakarois s'est avéré bon gestionnaire. Au Liberia, Weah, qui a quand même réussi à atteindre le deuxième tour de la présidentielle, était avant tout perçu comme un excellent footballeur. Mais les Libérians étaient sceptiques sur ses capacités à devenir un bon administrateur.
Le chanteur, lui, a montré qu'il pouvait gérer avec talent. Jusqu'à présent beaucoup doutaient de sa volonté de se lancer dans l'arène politique. Il était assez proche du président Abdoulaye Wade. «Il disait que j'étais son fils» explique-t-il. Mais, depuis quelques mois les relations entre le père et le fils se sont considérablement durcies.
Youssou N'dour tente vainement de lancer sa chaîne de télévision. «J'ai embauché une équipe et ils ne peuvent pas travailler. Nous avions obtenu l'autorisation de lancement et maintenant on nous dit que le régime a peur que cela soit une chaîne anti-Wade. Je ne comprends pas bien pourquoi: car il s'agit d'une chaîne culturelle» explique celui qui refuse de renoncer à son projet.
Des responsabilités politiques?
S'il a créé récemment un mouvement politique, c'est, selon lui «pour peser sur l'avenir du Sénégal», mais par pour se présenter lors de la prochaine présidentielle. «Il est exclu que je sois candidat à une élection présidentielle» explique-t-il. Mais il ajoute aussitôt: «Il faut expliquer la Constitution aux Sénégalais. Ils la connaissent mal et doivent apprendre qu'il ne faut pas sacrifier les intérêts du pays pour le bénéfice de quelques uns. Le Sénégal, c'est la démocratie. Une vitrine de la démocratie en Afrique. Pas la monarchie».
Quand on lui demande s'il pense que le président Abdoulaye Wade souhaite imposer une succession dynastique, Youssou N'dour répond avec prudence. «Rien n'est prouvé. La presse affirme qu'il veut que son fils prenne sa succession. Tant que rien n'est fait, je ne veux rien dire sur la question» affirme le chanteur, qui est aussi un fin diplomate.
Mais il se positionne déjà. «Je veux défendre le peuple. C'est bien de développer les infrastructures comme le fait actuellement le régime de Wade, mais il faut aussi que les gens mangent à leur faim.» L'été dernier, il a fait un tube avec une chanson qui dénonce les coupures d'électricité à répétition. «Il n'est pas acceptable, à Dakar, au XXIème siècle, qu'il y ait toujours des coupures courant qui durent des heures. Les gouvernements doivent trouver des solutions» ajoute-t-il avec un sourire tranquille.
Sera-t-il un jour encore plus impliqué dans la vie politique? Exercera-t-il des responsabilités politiques? «Ça c'est le peuple qui décidera!» lâche-t-il, visiblement peu pressé d'entrer dans l'arène. «Moi, j'ai un métier que j'adore. Je ne demande rien» explique-t-il. Même s'il laisse toutes les portes ouvertes. En attendant, la voix d'or de la médina veut sans doute se contenter d'un autre rôle bien plus dans les cordes d'un chanteur. Mener la danse. En jouant les faiseurs de roi.

Pierre Malet
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