(Afrik.com 28/11/2012)
L’épouse de l’ancien chef de l’Etat ivoirien, Simone Gbagbo, fait également l’objet d’un mandat d’arrêt international lancé par la Cour pénale internationale et rendu public jeudi dernier. Les partisans de l’ancien couple présidentiel ont déjà exprimé leur désapprobation alors qu ’Amnesty International presse le gouvernement ivoirien d’exécuter ce mandat. Pour Toussaint Alain, conseiller de Laurent Gbagbo de 2001 à 2011 et ancien conseiller personnel de l’ancienne première dame, « si le pouvoir ivoirien consent à livrer Simone Gbagbo à la CPI, alors il devra aussi exécuter les autres mandats visant les siens ».
Afrik.com : Le FPI a déjà qualifié cette décision d’aussi "injuste" que celle qui a conduit Laurent Gbagbo à la Cour pénale internationale (CPI). Raisonnablement, peut-on dire que vous êtes surpris du nouveau mandat d’arrêt international dont fait l’objet Simone Gbagbo pour « crimes contre l’humanité » ?
Toussaint Alain : Le mandat d’arrêt de la CPI à l’encontre de Simone Gbagbo était un secret de polichinelle. Cette décision absurde a été prise à la mi-décembre 2011, soit deux semaines après le transfert illégal du président Laurent Gbagbo à La Haye. Avec cette annonce publique de la procédure visant Mme Gbagbo, la CPI se discrédite définitivement. Dans son son intérêt, elle devrait renoncer à ce mauvais strip-tease judiciaire. Qu’elle donne à l’opinion la liste de ses suspects une bonne fois pour toutes ! On ne peut rien attendre d’une institution qui est le bras séculier des grandes puissances. En outre, Simone Gbagbo a déjà été inculpée par la justice ivoirienne pour des chefs d’accusation similaires. La volonté de combattre l’impunité ne doit pas être la porte ouverte à l’injustice et au déni de justice. La CPI n’est pas au-dessus des institutions d’un Etat souverain. Elle ne peut exercer sa compétence que lorsque les juridictions nationales n’ont pas la volonté ou la compétence pour juger de tels crimes. Or, Simone Gbagbo est en détention depuis dix-huit mois. Enfin, à travers son cas, la CPI veut certainement exercer une pression sur le camp Ouattara.
Afrik.com : La CPI mettrait, dit-on, dans l’embarras le pouvoir ivoirien avec ce nouveau mandat. Si l’on s’en tient à leurs premières déclarations, les autorités ivoiriennes paraissent plus réservées, semble-t-il, quant à son exécution qu’elles n’ont été en ce qui concerne le transfèrement de Laurent Gbagbo. Amnesty a appelé samedi la Côte d’Ivoire à remettre "immédiatement" Mme Gbagbo et à "enquêter sur les possibles suspects" dans les deux camps. L’organisation note que seuls des pro-Gbagbo ont fait l’objet des "attentions" de la CPI. Comment expliquer cette "réticence" mise en exergue par Amnesty ?
Toussaint Alain : Les autorités ivoiriennes n’ignorent pas que la CPI a déjà prévu de délivrer des mandats d’arrêt internationaux contre des personnalités comme Guillaume Soro, actuel président de l’Assemblée nationale et chef politique des rebelles des Forces nouvelles (ex-rébellion ivoirienne, ndlr), Wattao, un chef de guerre, et deux autres responsables militaires pro-Ouattara. De l’autre côté, deux personnalités du camp Gbagbo sont également sur la liste. Si le pouvoir ivoirien consent à livrer Simone Gbagbo à la CPI, alors il devra aussi exécuter les autres mandats visant les siens. Ce qui reviendrait pour Alassane Ouattara à scier la branche sur laquelle il est assis. Ce sont les Soro, Wattao et consorts qui l’ont porté au pouvoir par les armes. Ouattara est bien conscient d’un probable mouvement de colère des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) et d’autres miliciens en armes, comme les dozos, si les faiseurs de rois d’hier venaient à être remis demain à la justice internationale. La collaboration avec la CPI est un couteau à double tranchant. Je ne suis pas certain qu’Alasasne Ouattara prenne ce grand risque. Je comprends l’impatience d’Amnesty International. Mais tout le monde sait que la CPI est d’abord un instrument de pression politique. D’autre part, livrer Simone Gbagbo reviendrait à enterrer définitivement le processus de réconciliation en Côte d’Ivoire. Alassane Ouattara prétend être le dirigeant d’un Etat souverain. Qu’il travaille plutôt à renforcer l’appareil judiciaire national en le dotant des ressources financières ainsi que des femmes et des hommes intègres indispensables à son bon fonctionnement. La Côte d’Ivoire a besoin d’une justice professionnelle, forte et impartiale. Les Ivoiriens doivent être jugés chez eux pour les crimes commis sur le territoire national. Extrader des Ivoiriens à la CPI ne réparera jamais l’injustice faite à Laurent Gbagbo et à la Côte d’Ivoire.
Afrik.com : Simone Gbagbo a été entendue mardi 13 novembre à Odienné, en Côte d’Ivoire. Que s’est-il passé durant cette audition et comment se porte Me Dadjé qui a été interpellé avant d’assister sa cliente ?
Toussaint Alain : Sans trahir de secret, je peux simplement affirmer que, comme à son habitude, Simone Gbagbo a été combative. Nul n’est dupe sur les réelles motivations de sa détention. Elle est l’otage des calculs politiciens d’Alassane Ouattara. Tous les moyens sont bons pour neutraliser une opposante redoutable. Outre, les chefs d’accusations fantaisistes, la procédure n’a pas été menée dans les règles de l’art. Les droits de Simone Gbagbo, en tant que détenue politique, sont rarement respectés. Prétextant un risque d’enlèvement, le régime la trimbale d’un endroit à un autre, d’une ville à une autre. Tout cela n’est pas le signe d’une justice sereine. Pour une fois, le mardi 13 novembre, Simone Gbagbo était assistée de Me Ange Rodrigue Dadjé, son avocat depuis plusieurs années. C’est la première fois qu’il rencontrait sa cliente. Lui-même avait été arrêté le 29 mars 2012 puis illégalement détenu durant près de trois mois par le régime Ouattara. Il a repris son travail avec ses autres confrères du collectif d’avocats de la défense, dont Me Habiba Touré et Me Ciré Clédor Ly. Je compte sur leur talent pour rendre leur liberté à Simone Gbagbo et aux autres amis injustement incarcérés.
par F. G.
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