Par Adrien POUSSOU - 02/11/2012
«…C’est l’habitude qui les pousse à percevoir les Africains comme d’éternels gamins à qui l’on doit servir la soupe… »
La 67ème Assemblée générale des Nations unies s’est achevée à New-York, aux États-Unis, fin septembre. Une fois de plus, les chevaliers de la vertu, ces marchands de morale qui ont souvent les mains sales, se sont livrés à leurs petits jeux de Torquemada consistant à se donner bonne conscience à peu de frais, en se proclamant porte-étendards du Continent africain. Comme des idiots utiles, ils ont feint de réclamer l’attribution d’un siège de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies à un pays africain. Or aujourd’hui, aucune âme sensée ne saurait être défavorable à un élargissement du nombre de sièges permanents et non permanents au Conseil de sécurité, pour que sa composition reflète les réalités du monde et tienne compte de l’émergence de nouvelles puissances ayant la volonté et la capacité d’assumer des responsabilités importantes. Cette réforme du Conseil de sécurité est un impératif dans le cadre de la réforme des institutions internationales. Elle nécessite un engagement politique des États membres au plus haut niveau. C’est pourquoi, il ne faut surtout pas être dupe de ces numéros de prestidigitation bien rodés et ne pas se laisser berner par ces supposées bonnes intentions envers l’Afrique.
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Adrien POUSSOU Directeur de publication de Afrique Nouvelle
Que ces défenseurs auto-désignés du Continent à la sincérité sujette à caution, aient enfin compris qu’en ce 21e siècle, aucune personne disposant de toutes ses facultés ne saurait, en toute bonne foi, contester ouvertement la nécessité pour certains États africains d’entrer au Conseil de sécurité en tant que membre permanent, chacun veut bien le croire. Qu’ils n’appartiennent pas au troupeau des «dominateurs» adeptes de l’exploitation outrancière et sans contrepartie des ressources du réservoir qu’est l’Afrique, on ne demande qu’à l’établir par des faits.
Néanmoins, si aujourd’hui beaucoup d’Africains comme moi (et je peux citer des exemples à l’appui) sont sceptiques vis-à-vis de la sincérité de leurs démarches, c’est parce qu’il y a déjà longtemps qu’ils ont cédé à une tentation plus perverse que le conservatisme et plus répandue, parmi les Nations dites évoluées, que la condescendance: l’habitude. C’est grâce à l’habitude qu’ils nous servent au fil des années, ce même refrain irrévocablement désuet. En tout état de cause et à tout bien considéré, c’est l’habitude qui les pousse à percevoir les Africains comme d’éternels gamins à qui l’on doit servir la soupe, cinquante ans après les indépendances.
C’est en partie pour cela que depuis quelques années, certains pays africains exigent, à juste titre d’ailleurs, avec une rare fermeté, le départ des missions de maintien de la paix de l’ONU, présentes sur leur territoire, parlant d’un constat d’échec. Ce fut le cas en janvier 2010, où le chef de l’État tchadien, Idriss Déby Itno, ne s’était pas encombré de fioritures pour exiger et finalement obtenir après maintes tergiversations du Conseil de sécurité et de multiples pressions, le départ des troupes de la Mission des Nations unies en République centrafricaine et au Tchad (Minurcat) à la date d’expiration de leur mandat. Pourtant à l’époque, la Minurcat n’était présente sur son territoire que depuis seulement un an. «À mi-parcours, la Minurcat n’est pas opérationnelle, et ne le sera pas, même si on lui donnait encore un an», disait-il avec une pointe de déception. Tout comme lui, son homologue Joseph Kabila, le président de la République démocratique du Congo (RDC), n’y était pas allé, lui non plus, avec le dos de la cuillère. Par la voix de son ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Lambert Mende Omalanga, la RDC affirmait que le «bilan de la Monuc Mission des Nations unies au Congo, NDLR «par rapport à l’exploitation illicite des ressources naturelles de la RDC n’a guère été brillant» et que «l’absence d’un plan de réforme du système de sécurité démontre que face à ces défis, la présence de la Monuc n’aura pas été la panacée». Plus grave, le pays pointait les dysfonctionnements de coopération entre la Monuc et le gouvernement avec comme conséquence d’«impacter négativement les opérations d’éradication des groupes armés qui perturbent la gestion des défis humanitaires que la guerre a engendrés».
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Devant ce constat d’échec, l’impératif serait de demander que le Conseil de sécurité s’adapte aux réalités du 21e siècle. Il doit demeurer l’organe de décision responsable «du maintien de la paix et de la sécurité internationales» et doit «assurer l’action rapide et efficace de l’Organisation», conformément à la Charte des Nations Unies. Il doit mieux représenter le monde d’aujourd’hui tout en restant capable de prendre les mesures nécessaires face aux problèmes de sécurité qui se posent à notre planète.
Cependant, dans sa forme actuelle, le Conseil de sécurité des Nations unies composé de cinq membres permanents (États-Unis, France, Royaume-Uni, Chine et Russie) et de dix non permanents élus pour deux ans n’a été réformé qu’une fois en 1963, lorsque quatre nouveaux sièges non permanents ont été créés. La réforme du Conseil nécessite l’accord d’au moins les deux tiers des États membres de l’ONU et celui de tous les membres permanents, qui disposent du droit de veto (cf. article 108 de la Charte). Cette procédure, très contraignante, nécessite de définir une réforme qui puisse recueillir le soutien d’une vaste majorité des États membres. C’est l’une des raisons, si ce n’est la principale, des nombreux échecs de plusieurs tentatives de réforme initiées ces dernières années et qui peuvent être répertoriées ainsi :
Après une première proposition par le président de l’Assemblée générale en 1997, le «rapport des sages» de 2004 rapport Panyarachun, NDLR demandé par Kofi Annan, alors Secrétaire général des Nations unies, proposait des solutions pour un Conseil élargi à 24 membres. Le G4 (Inde, Brésil, Japon et Allemagne) a également fait une tentative en 2005 qui n’a pas abouti. Il proposait la création de 6 nouveaux sièges permanents (les 4 membres du G4 et 2 pays africains) sans droit de veto et de 4 nouveaux non permanents. Cette proposition a rencontré l’opposition de deux groupes numériquement importants:
— les pays rassemblés au sein du groupe «Uni pour le consensus» derrière l’Italie, l’Argentine, le Pakistan et le Mexique, plaident pour un élargissement uniquement dans la catégorie des membres non permanents. Ils ont ainsi proposé 10 nouveaux non permanents;
— l’ensemble des pays africains s’est rassemblé derrière «le consensus d’Ezulwini», proposition qui demande deux sièges permanents avec droit de veto et deux sièges non permanents supplémentaires pour l’Afrique (l’Afrique en détenant trois actuellement).
Depuis, on tourne en rond. De promesses en vœux pieux, aucun espoir à l’horizon. Reconnaissons avec gravité et, convenons-en, avec une infinie déception : les pays dits développés qui se sont octroyés des privilèges au moment de la création de l’ONU, n’entendent en rien amoindrir leur domination sur le monde. Ils veulent continuer à semer des troubles impunément, à créer le désordre partout afin de rester les maîtres incontestés de l’univers, tout en continuant avec cynisme à jurer, la main sur le cœur, que l’Afrique doit avoir un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. En somme, une hypocrisie qui n’a que trop duré.
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