La France pourrait surtaxer l'huile de palme, accusée de favoriser l’obésité. Juste au moment où des investissements massifs se multiplient en Afrique dans ce secteur très lucratif.
L’huile de palme n’en finit pas de déchaîner les passions. Elle entre dans la composition de nombreux aliments, comme les chips, les barres chocolatées ou la pâte à tartiner Nutella.
Elle constitue un élément essentiel dans de nombreuses cuisines africaines, comme en Côte d’Ivoire, où le célèbre aloco (banane plantain) est très souvent frit dans la non moins fameuse «huile rouge».
Si l’huile de palme se trouve dans l’œil du cyclone, c’est parce qu’elle se trouve écartelée entre des intérêts a priori divergents:
—Les industriels multiplient les investissements dans le monde, notamment en Afrique, en raison de la demande toujours plus forte de cette huile bon marché.
—Mais les écologistes montent au créneau en s’horrifiant de la déforestation rapide qu’impliquent ces nouvelles cultures.
—Et des études scientifiques affirment qu’elle favoriserait l’obésité et les maladies cardio-vasculaires.
La proposition d’un sénateur socialiste français jusqu’à présent inconnu, Yves Daudigny, de surtaxer (+300%) l’huile de palme a eu l’effet d’un éléphant entrant en trombe dans un magasin de porcelaine fine…
Et, lorsque le texte a été adopté ces derniers jours par la commission des Affaire sociales du Sénat français, c’est une véritable bombe qui a secoué le secteur.
Si la France adopte définitivement cette surtaxe, et surtout si elle est suivie par d’autres pays occidentaux, c’est l’ensemble de la filière qui sera impactée au niveau mondial.
En Afrique, la contre-attaque s’organise
Dès le 25 octobre, l’Initiative for Public Policy Initiative (IPPA), un groupe de réflexion du Nigeria, a écrit à plusieurs responsables de grandes surfaces françaises pour protester contre la «campagne menée par des détaillants français contre les petits exploitants africains d’huile de palme».
«Vous avez fait chuter leur revenu, critiqué leur moyen de subsistance et injustement nui à la réputation du produit qu’ils cultivent», accusent les auteurs de la lettre ouverte.
Pour eux, cinquante ans après les indépendances africaines, «on voit resurgir le spectre d’un comportement colonialiste, que l’on croyait révolu, dans votre campagne contre l’huile de palme».
Ils rappellent qu’elle est l’huile alimentaire «la plus abordable et la plus largement commercialisée au monde» et constitue l’huile au meilleur rendement mondial par surface cultivée.
Ce qui signifie que l’huile de palme, uniquement produite dans les pays tropicaux, menace moins les forêts que le tournesol et le colza, notamment cultivés en France…
Ils assurent en outre qu’elle n’est pas néfaste pour la santé. Au contraire, riche en nutriments, avec des taux très élevés en vitamines A et E, elle est d’un apport essentiel aux populations pauvres, rurales comme urbaines, notamment en Afrique.
Les auteurs de la missive enflammée placent même la France devant ses contradictions, en soulignant que l’Agence française de développement (AFD) avait récemment appuyé la plantation au Ghana de 3.000 hectares de palmiers à huile pour aider 750 petits exploitants.
En juin, les Ivoiriens avaient eux-aussi dégainé. L'Association ivoirienne des producteurs de palmiers à huile (AIPH) a déposé une plainte auprès du tribunal de commerce de paris contre la chaîne française Système U, pourtant présente dans le pays avec trois magasins.
Les professionnels ivoiriens avaient peu apprécié une publicité intitulée «Stop à l’huile de palme» et «Oui aux prix bas mais pas au prix de l’environnement».
Ce genre de procédure juridique —des planteurs africains attaquant des supermarchés français— est relativement exceptionnel. Et souligne bien les importants enjeux financiers dans ce dossier.
Le tribunal de Paris a examiné l’affaire et rendra sa décision le 4 décembre.
Au niveau mondial, la Côte d’Ivoire ne pèse pourtant pas lourd, face aux deux géants mondiaux de l’huile de palme, l’Indonésie et la Malaisie, qui assurent 85% de la production planétaire.
Mais le pays, en pleine reconstruction après une décennie de troubles politiques, veut relancer sa filière, à l’instar de plusieurs pays africains. Les principaux investissements se concentrent actuellement au Liberia, en République démocratique du Congo (RDC), au Gabon et en Ethiopie.
Mais la Gambie, la Sierra Leone, le Cameroun, le Ghana et la Côte d’Ivoire ont aussi réussi à attirer des investissements importants. Même si le principal producteur du continent reste le Nigeria.
L'Asie va supplanter l'Afrique
Avec près d’un million de tonnes produites par an, le géant démographique africain fait pâle figure par rapport à l’Indonésie, premier producteur mondial avec plus de 20 millions de tonnes par an.
Les Nigérians étaient pourtant à l’indépendance de leur pays le leader mondial de l’huile de palme, assurant près de la moitié de la production planétaire.
Mais lorsque la culture est devenue vraiment rentable, tirée par les formidables croissances économiques et démographiques de la Chine et de l’Inde, l’Asie a rapidement supplanté l’Afrique, qui est pourtant le berceau de l’huile de palme.
L’Afrique pourrait pourtant rapidement rattraper le temps perdu. Mais évitera-t-elle les erreurs de l’Asie, avec une déforestation irrémédiable?
C’est bien le souci des écologistes, qui pointent du doigt les erreurs déjà commises, comme par exemple au Cameroun avec la société américaine Herakles.
Les «Verts» ont raison. Il est important de défendre la biodiversité, l’habitat des chimpanzés et des papillons. L’avenir de notre planète passe par la défense de l’environnement.
Et la vigilance reste de mise face à des multinationales qui pratiquent la course au profit immédiat et la politique de la terre brûlée.
Mais l’Afrique ne doit pas être la «réserve naturelle» des Occidentaux, hyperindustrialisés, dévorés par un immense sentiment de culpabilité post-colonialiste et brusquement passionnés par l’écologie dans les pays du Sud.
Le continent africain doit rapidement se développer pour tirer de la pauvreté des centaines de millions d’habitants.
Oui, l’Afrique devra couper des arbres. Comme l’ont fait avant elle l’Europe, les Etats-Unis et la Chine lors de leurs révolutions industrielles.
Mais il ne faudra pas en couper trop. La tant vantée «sagesse africaine» sera mise à contribution.
Adrien Hart
© SlateAfrique
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