KIGALI (AP) — A l'approche de la présidentielle du 9 août au Rwanda, qui devrait voir le président Paul Kagame réélu pour un second mandat de sept ans, le "pays des Mille Collines" reste hanté par le souvenir du génocide: malgré la prospérité et le calme apparent, le régime tient le pays d'une main de fer et musèle toute dissidence, agitant l'épouvantail d'un retour des violences ethniques.
L'affaire Victoire Ingabire est symptomatique du Rwanda d'aujourd'hui, 16 ans -près d'une génération- après le génocide de 1994: cette hutue de 41 ans, candidate de l'opposition à la présidentielle, est rentrée d'exil en janvier. Déposant une gerbe au mémorial pour les Tutsis tués lors du génocide, elle a demandé pourquoi on n'honorait pas également le souvenir des Hutus morts, et estimé que les crimes commis par le FPR contre des Hutus devaient également faire l'objet de poursuites.
Pour ces propos, elle a été arrêtée, inculpée notamment pour "idéologie de génocide". Remise en liberté conditionnelle fin avril, la présidente des Forces démocratiques unifiées (FDU-Inkingi) risque plus de 20 ans de prison.
Pour Victoire Umuhoza Ingabire, l'attitude du gouvernement Kagame envers elle prouve qu'il est "loin de la démocratie". Si Kigali affirme craindre tout ce qui serait susceptible de rallumer l'incendie ethnique, ses détracteurs l'accusent d'instrumentaliser ce concept d'idéologie du génocide pour discréditer l'opposition.
Kigali est prospère et belle dans son écrin de collines verdoyantes. Plus de la moitié des députés de la chambre basse du Parlement sont des femmes, soit la plus forte proportion au monde. Le Rwanda a été récompensé par la Fondation Clinton pour ses progrès considérables en matière de santé et d'éducation rurales et d'améliorations des infrastructures.
Mais sous cette façade sereine et progressiste, expliquent les organisations de défense des droits de l'Homme, le régime ex-FPR tient le pays d'une main de fer. Selon le dernier rapport du Département d'Etat américain, qui souligne la limitation de la liberté d'expression ainsi que les restrictions à la liberté de la presse et à l'indépendance de la justice, les droits des Rwandais à changer de gouvernement sont "efficacement restreints".
Beaucoup de Rwandais ne se sentent pas en sécurité. Cette année, une série d'attaques à la grenade à Kigali a fait deux morts et des dizaines de blessés. La dernière en date remonte au 15 mai. La police ne peut dire si ces attaques ont un rapport avec l'élection présidentielle d'août, la seconde depuis le génocide.
"Politiquement il n'y a pas d'espace pour l'opposition ou pour tout autre point de vue que celui du gouvernement", note Daniela Kroslak, analyste de l'International Crisis Group à Nairobi (Kenya). "C'est le problème avec ce gouvernement: si vous parlez d'appartenance ethnique, on vous qualifie de divisionniste. Je crois que la meilleure chose est d'en parler, et de trouver une solution", déclare Victoire Ingabire.
Pour le Procureur général du Rwanda, Martin Ngoga, l'affaire va au-delà de la simple liberté d'expression: l'opposante risque selon lui d'inciter le pays à "exploser une nouvelle fois comme il l'a fait il y a seulement 16 ans".
Il accuse Victoire Ingabire de collusion avec les FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda), les rebelles hutus rwandais basés dans l'est de la République démocratique du Congo voisine, que Kigali considère comme un mouvement "terroriste".
Kigali ne tolérera pas les "discours d'incitation à la division ethnique", décrète M. Ngoga. "Nous avons fait beaucoup pour tenter de dépasser l'héritage du génocide et faire que les gens se tournent vers l'avenir", ajoute-t-il. "Mais nous n'en sommes pas arrivés au stade où notre communauté est suffisament éduquée pour ne pas pouvoir être manipulée à nouveau".
Depuis 1994, le gouvernement a pourtant poussé à ce que les Rwandais se définissent désormais comme tels, et non plus comme "hutu" ou "tutsi". "Quand je suis né, quand je grandissais, j'étais hutu. Mais maintenant, quand vous voyez quelqu'un, vous ne pouvez plus demander: 'Il est tutsi?' Il n'y a pas de différence", explique le député Gabriel Semasaka.
Amnesty International a exhorté Kigali à garantir que Mme Ingabire bénéficiera d'un procès équitable. Le passeport de l'opposante a été saisi et elle a interdiction de quitter capitale d'ici son procès, dont la date n'a pas encore été fixée. AP
nc/v0/mw
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire