(Le Temps.ch 28/11/2011)
Joseph Kabila aborde le scrutin d’aujourd’hui en grand favori. Le président sortant se dit fier d’avoir lancé la «reconstruction» du pays.Joseph Kabila a été propulsé au sommet du pouvoir en République démocratique du Congo à tout juste 30 ans, à la suite de l’assassinat de son père Laurent-Désiré Kabila, en janvier 2001. En 2006, il est légitimé par les urnes en remportant par 58% des voix la première présidentielle depuis l’indépendance du pays. Il est candidat à sa propre succession pour un nouveau mandat de cinq ans à la tête du deuxième plus grand pays d’Afrique. Interview au détour d’un meeting de campagne.
Le Temps: Voilà dix ans que vous êtes au pouvoir. Quel est le point le plus positif de votre bilan?
Joseph Kabila: Sans détour, c’est la paix et la sécurité. Voyez les onze candidats: s’ils ont pu sillonner le pays par route, c’est parce que sur l’ensemble du territoire règnent la paix et la sécurité. C’est grâce à cela aussi que les 18 000 candidats aux législatives ont pu mener campagne. L’autre point dont je suis fier, c’est le début de la reconstruction. Je ne dis pas le développement, mais la reconstruction, préalable au vrai décollage, qui a démarré sur toute l’étendue du territoire. Les élections nous ont coûté 380 millions de dollars sur un an, c’est énorme. Certes, cela en valait la peine, mais sans remettre en cause la démocratie, peut-être faudrait-il redimensionner nos ambitions, voir comment économiser. D’un autre côté, cet exercice électoral est indispensable car nous avons à tout prix besoin de stabilité politique. A long terme, celle-ci doit permettre d’attirer les investisseurs et de garantir la paix.
– Quel est, à vos yeux, le sens de ces élections?
– Il s’agit de la consolidation des acquis. Nous venons de loin, de très loin… La destruction du Congo date des années 60, la guerre a débuté au lendemain de l’indépendance. Pendant 40 ans, personne n’a pensé au développement et aujourd’hui il faut tout refaire. Un exemple: à Kindu, un pont a été détruit lors de la rébellion de 1964 et jusqu’à ce jour, il est resté en l’état.
– Si la reconstruction a commencé, la population assure que le social n’a pas progressé.
– Le social est certainement une urgence mais on ne peut dire qu’il n’y a pas eu d’évolution entre 2006 et aujourd’hui. Par exemple les salaires des professeurs ont augmenté. Certes, il faut une amélioration mais vous ne pouvez donner que ce que vous avez. Il faut d’abord produire, avoir les infrastructures nécessaires. C’est un travail difficile et de longue haleine…
– La conjoncture n’a cependant pas été mauvaise, le prix du cuivre a grimpé. On a le sentiment que la population n’en a pas profité…
– J’ai récemment visité le Katanga et pensé que beaucoup de choses devaient être corrigées. En 2002, nous avons adopté un Code minier censé attirer les investisseurs. Mais une dizaine d’années plus tard, il faut refaire une évaluation voire une révision de ce code. Quand on voit les 400 ou 600 camions qui font chaque jour la route entre Kolwezi, Lubumbashi et la frontière zambienne, on se dit qu’il y a une disparité énorme entre les dividendes des sociétés qui sont venues investir et les retombées sur la population. Il faut, au plus tôt, se remettre autour de la table avec les opérateurs, afin de faire en sorte que l’exploitation des minerais du Congo apporte aussi des bénéfices sur le plan social. La répartition doit être beaucoup plus équitable.
– Le Congo a été accusé de remettre en cause des accords signés avec les sociétés minières.
– Non, nous cherchons à équilibrer, c’est différent. La plupart des sociétés sont venues après l’adoption du Code minier mais le Congo aujourd’hui a besoin de sociétés solides et non de gens qui ne songent qu’à jouer en bourse, à vendre et acheter. Nous sommes en contact avec la Bolivie, le Chili, la Zambie. Nous sommes parmi les plus grands producteurs de cuivre et nous souhaitons nous concerter afin d’harmoniser nos options. Il ne faut pas que les sociétés jouent un pays contre l’autre.
– Le Congo s’est ouvert à de nouveaux partenaires en plus de ses interlocuteurs traditionnels. Est-ce bénéfique?
– Il faut avoir une lecture lucide de l’histoire de notre pays. Nous avons toujours connu des partenaires dits traditionnels, mais depuis une quarantaine d’années, la population, dont je fais partie, commence à se poser des questions. Nos amis nous parlent de la démocratie et c’est très bien, mais ce qui compte aussi, c’est le bien-être de la population. Pour la démocratie, nous travaillons sans problème avec nos partenaires traditionnels, mais pour le mieux-être de la population, le développement du pays, nous pensons que nous devons ouvrir nos portes à d’autres. Ce qui explique nos relations avec d’autres Etats; il n’y a pas que les Chinois, il y a aussi la Turquie, l’Afrique du Sud, la Corée du Sud, le Japon…
– Si vous êtes élu, les cinq ans à venir vous suffiront-ils pour réaliser votre programme?
– L’essentiel, c’est que nous allons jeter des bases solides sur lesquelles tous ceux qui viendront après nous seront obligés de construire.
– D’ici cinq ans, terme de votre prochain mandat, ce sera fini pour vous?
– Il s’agit là d’une obligation constitutionnelle que je respecterai. Mais il est certain que je vais continuer à travailler pour le Congo.
– Voici trois ans, vous reconnaissiez que vous n’aviez pas quinze hommes sur qui vous pouviez compter. Les avez-vous trouvés depuis?
– J’en ai déjà douze, comme les Apôtres, il me reste à en trouver trois… Si nous gagnons les élections, ce sera l’un des points les plus importants, trouver les hommes honnêtes et incorruptibles.
– Si vous l’emportez, le président du deuxième mandat sera-t-il différent?
– Il est certain que ce ne sera plus le même homme. Avec plus d’expérience, on connaît presque tout le monde, les amis, les adversaires, les ennemis, ceux qui veulent le développement de ce pays, et ceux qui cherchent à nous tirer vers le bas.
Pour changer les choses, il fallait bien commencer quelque part. Nous avons donc d’abord réformé la justice, fait en sorte que les magistrats soient placés dans de très bonnes conditions et cela afin que le système judiciaire soit vraiment incorruptible. Nous avons recruté 2000 nouveaux magistrats, organisé de séances de formation. Il y a eu des révocations, des mesures disciplinaires. Mais la lutte contre la mégestion est un travail de longue haleine.
Colette Braeckman Matadi
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