(L'Express 30/11/2011)
Quatre chefs de crimes contre l'humanité ont été retenus par la CPI à l'encontre de Laurent Gbagbo, en qualité de "co-auteur": meurtres, viols et violences sexuelles, actes de persécution, autres actes inhumains.
Quatre chefs d'accusation de crimes contre l'humanité ont été retenus par la CPI à l'encontre de Laurent Gbgabo. Reste à la Cour de La Haye à faire preuve de la même intransigeance vis-à-vis de la rébellion nordiste.
Au fond, Dominique de Villepin avait vu juste. En janvier 2003, à l'apogée de la tension entre Paris et Abidjan, "DDV", alors ministre des Affaires étrangères, avait apostrophé ainsi Laurent Gbagbo dans les coulisses de la conférence de Kléber: "Toi et ton épouse Simone, vous finirez à La Haye". Prophétie pour l'heure à demi validée: l'ex-président ivoirien a été écroué dans la nuit au centre de détention de la Cour pénale international, logé dans le quartier balnéaire de Scheveningen.
Emis le 23 novembre, le mandat d'arrêt de la CPI lui a été notifié hier mardi à Korhogo, où le fameux reclus avait été placé dès avril en résidence surveillée. Embarqué à la tombée du jour, Gbagbo a atterri nuitamment à Rotterdam, avant de se voir transféré par voie routière. Quatre chefs d'accusation de crimes contre l'humanité ont été retenus à l'encontre du mauvais perdant du scrutin de l'an dernier, en qualité de "co-auteur": meurtres, viols et violences sexuelles, actes de persécution, autres actes inhumains. Non, bien entendu, que l'intéressé soit accusé d'avoir lui-même commis ces atrocités, mais au titre de responsable hiérarchique voire d'inspirateur.
Le premier chef d'Etat incarcéré à La Haye
Qu'adviendra-t-il désormais? Le scénario obéit à la dramaturgie classique de la Cour. Dès demain, ou au plus tard vendredi, se tiendra l'"audience de comparution initiale". Il s'agit de vérifier l'identité de l'inculpé et de lui signifier ses droits ainsi que les crimes qui lui sont imputés. Préambule formel suivi, au cours du premier trimestre 2012, de l'"audience de confirmation des charges", au cours de laquelle les juges examineront les éléments de preuves réunis par le procureur et son équipe, afin de statuer sur leur solidité, donc sur la pertinence de la tenue du procès.
A La Haye, Laurent Gbagbo, 66 ans, logera dans une cellule individuelle dotée d'un ordinateur. Il pourra suivre des cours d'informatique, se livrer à des exercices physiques à l'air libre, voire, si le coeur lui en dit, cuisiner. Peut-être croisera-t-il dans les couloirs ou sur le terrain de sport l'un ou l'autre des hôtes de ce pénitencier pour VIP: le Libérien Charles Taylor, jugé par le Tribunal pour la Sierra Leone, l'ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba, un chef milicien hutu rwandais ou les Serbes Radovan Karadzic et Ratko Mladic. Reste qu'en terme de statut, l'Ivoirien jouira sur place d'un douteux privilège: il est le premier chef d'Etat incarcéré à La Haye.
Mandat d'arrêt "illégal", appelé à "exacerber les antagonismes" et préjudiciable à la "réconciliation nationale". C'est en ces termes que Me Lucie Bourthoumieux, l'une des avocates du sortant vaincu dans les urnes puis par les armes, a dénoncé son transfert. Nul doute qu'une frange de l'intelligentsia africaine, prompte à élever "Laurent" au rang de héros et martyr d'une souveraineté bafouée, flétrira avec lyrisme la rigueur sélective de la CPI, perçue comme l'instrument servile de cette "justice des vainqueurs", sinon de la "justice des Blancs".
Impératif d'équité
Toute dissymétrie judiciaire risquerait d'alimenter davantage encore les tensions entre communautés"
Le refrain du "deux poids-deux mesures" n'a pas fini de résonner. "M. Gbagbo, a pris soin de préciser le procureur Luis Moreno-Ocampo, est le premier à devoir rendre compte de ses actes. Il ne sera pas le dernier." Acceptons-en l'augure. Pour étouffer dans l'oeuf le procès en iniquité néocoloniale, la CPI a l'obligation d'inculper et d'acheminer au Pays-Bas tel ou tel caïd de la rébellion nordiste acquise à l'élu Alassane Dramane Ouattara, et reconnu coupable de crimes analogues. Les candidats ne manquent pas. "Nous agissons en toute impartialité et en toute indépendance", insiste le magistrat argentin, dont le mandat s'achève en juin prochain. Ainsi soit-il. A moins de deux semaines du premier scrutin législatif de l'après-Gbagbo, cet impératif d'équité aura pour "ADO" un prix. Il lui faudra consentir au "sacrifice" de quelque cadre des forces dirigées hier par son actuel Premier ministre Guillaume Soro.
Sur ce front-là, comment ne pas souscrire au verdict équilibré de l'ONG internationale Human Rights Watch? Laquelle a, dès hier, salué "un pas important sur la voie de la justice", tout en soulignant combien toute dissymétrie judiciaire risquerait "d'alimenter davantage encore les tensions entre communautés."
Le destin de Laurent Gbagbo a quelque chose de vertigineux. Opposant courageux au despotisme policé de Félix Houphouët-Boigny, militant intransigeant du multipartisme, porté en 2000 à la présidence à la faveur d'élections qualifiées par ses soins de "calamiteuses", puis potentat autiste claquemuré dans son bunker et dans ses certitudes. Aujourdhui encore, ce David devenu Néron impute d'ailleurs l'accession à la magistrature suprême de Ouattara à un "complot" ourdi sur les bords de Seine. "Le temps est l'autre nom de Dieu", aimait à dire l'ancien élève du petit séminaire de Gagnoa. Dans sa cellule, le nouveau pensionnaire de Scheveningen tuera donc le premier en priant le second.
Par Vincent Hugeux, publié le 30/11/2011 à 13:00, mis à jour à 13:20
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