mercredi 23 novembre 2011

Egypte : des élections aux modalités complexes

(Le Monde 23/11/2011)
Trois jours d'affrontements, entre 26 et 33 morts selon les sources et près de 1 900 blessés. L'opposition entre l'armée et les manifestants de la place Tahrir a plongé l'Egypte dans la plus grave crise de l'ère post-Moubarak, ouverte le 11 février. Au point de mettre en danger le calendrier des différents scrutins censés tourner la page de la "transition" menée par le Conseil suprême des forces armées (CSFA) et accompagner la transition démocratique. Lundi soir, le gouvernement a présenté sa démission au CSFA, qui reconnaissait de son côté pour la première fois que le pays était en "crise". Une crise qui menace la tenue même d'élections au déroulement complexe.
•Des élections en plusieurs étapes
50 millions d'électeurs de plus de 18 ans doivent désigner 498 députés à l'Assemblée du peuple, la chambre basse du Parlement. Le scrutin doit se dérouler sur trois tours, les 28 novembre (9 des 27 gouvernorats égyptiens – équivalent des départements français – se rendront alors aux urnes), 14 décembre et 3 janvier, en théorie pour que les juges puissent en contrôler le déroulement. Cette chambre doit se réunir pour la première fois le 17 mars. Dix députés supplémentaires seront désignés par le CFSA. L'élection des 270 sénateurs à la chambre haute (la Choura) sera elle aussi étalée sur trois tours, le 29 janvier, le 14 février et le 11 mars.
La première mission du nouveau Parlement sera de choisir les 100 membres de l'Assemblée constituante chargée de rédiger une nouvelle constitution dans les six mois. Par la suite, le Parlement disposera du pouvoir législatif, mais le CSFA conservera ses "prérogatives présidentielles" jusqu'à l'achèvement de l'élaboration de la future constitution ou l'élection d'un nouveau président.
La date de l'élection présidentielle, à l'issue de laquelle l'armée a promis de remettre la totalité du pouvoir aux civils, n'est pas encore connue. Si une nouvelle constitution devait être adoptée en préalable, le vote pour le prochain président pourrait ne pas intervenir avant la fin août 2012. Les militaires du CSFA souhaitent que l'élection ait lieu après l'adoption par référendum d'une nouvelle constitution, plutôt fin 2012 ou début 2013. A contrario, une partie de la classe politique fait pression pour que le scrutin se déroule juste après les législatives, donc avant l'adoption d'une nouvelle constitution. Les manifestants de la place Tahrir reprochent au CSFA de menacer la démocratie et d'avoir confisqué la révolution pour se maintenir au pouvoir.
•Un mode de scrutin alambiqué
Le système électoral approuvé par le gouvernement combine un scrutin de liste pour les deux tiers des sièges, et un scrutin uninominal pour le tiers restant. Deux tiers des 498 députés seront élus à la représentation proportionnelle sur la base de listes présentées par des partis. Chaque parti devra présenter au moins une femme sur sa liste. L'attribution des sièges dépendra du nombre de suffrages obtenus par chaque parti dans chacune des circonscriptions où le suffrage proportionnel est de rigueur. Le tiers restant, soit 166 députés, sera ouvert à des candidatures individuelles, dites "indépendantes". Pour être élu, un candidat doit obtenir plus de 50 % des voix. A défaut, un second tour opposera les deux candidats arrivés en tête.
Cette répartition a été au cœur d'une vive polémique. Le scrutin uninominal était en effet accusé par de nombreux partis politiques de favoriser le retour de personnalités proches de l'ancien pouvoir, qui pourraient se faire élire comme "indépendants" en bénéficiant de leurs réseaux locaux toujours puissants. Les Frères musulmans ont ainsi menacé de boycotter le scrutin si l'article de loi interdisant les partis à se présenter dans un tiers des circonscriptions n'était pas annulé. Ce qu'a finalement décidé l'armée au début du mois d'octobre. Ces élections doivent avoir lieu sous l'autorité d'une haute commission électorale dirigée par le président de la cour d'appel du Caire, le conseiller Abdel Moez Ibrahim. Pour autant, des règles d'affichage aux conditions de sécurité en passant par l'information des citoyens, la commission semble faire preuve d'un certain laxisme.
•Une multitude de forces politiques
Difficile de s'y retrouver au milieu des 15 000 candidats qui se présentent pour des sièges individuels ou sur des listes. Depuis la chute du régime de Moubarak, des dizaines de partis, allant des salafistes (islamistes fondamentalistes) aux libéraux, souvent très peu structurés et encore mal connus, sont apparus. Mais ce sont les Frères musulmans, réputés être les plus organisés, qui sont les favoris de ces législatives. La confrérie a formé son propre parti, le Parti de la liberté et de la justice, pour pouvoir se présenter en tant que formation politique. Ils ont promis de ne présenter de candidatures que pour la moitié des sièges en lice. Ces partis sont par ailleurs organisés en coalition plutôt fragiles. Il y a la Coalition démocratique, l'Alliance islamiste, le Bloc égyptien et l'alliance intitulée "La Révolution continue".
Des observateurs assurent que le vrai match opposera les Frères musulmans aux cadres locaux de l'ex-PND (Parti national démocratique), le parti au pouvoir sous Moubarak, dont l'influence est encore importante. D'autres insistent sur le clivage entre islamistes et libéraux.
Pour la première fois en Egypte avant des élections, des sondages ont été réalisés pour connaître les intentions de vote des électeurs. De manière constante, ils placent les Frères musulmans en tête, puis le parti libéral Al-Wafd, le parti salafiste Al-Nour et enfin le parti centriste Al-Adl. Les autres formations ne recueilleraient que des miettes.
>> Voir une infographie des partis politiques égyptiens (PDF en anglais)
Pour autant, la situation politique instable et les modalités complexes de ces élections pluralistes sans précédent rendent difficile tout pronostic. Et comme le montre ce reportage (article abonnés) de la correspondante du Monde au Caire, les Egyptiens restent perplexes face à la complexité du mode de scrutin et la multiplication des candidats.


Le Monde.fr avec AFP, Reuters
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