dimanche 20 novembre 2011

Afrique du Sud - Julius Malema, à terre, mais pas mort

(Le Monde 18/11/2011) Pour un homme dont la chute vient d'être annoncée par ses ennemis, Julius Malema a l'air de se porter comme un charme, ce mercredi 16 novembre. Cinq jours plus tôt, le comité disciplinaire de l'ANC, le Congrès national africain au pouvoir en Afrique du Sud, a tranché après des mois de tergiversations : Malema, chef de la Ligue de la jeunesse de l'ANC, l'Ancyl, est suspendu pendant cinq ans du parti. Puni, en théorie, pour son insubordination. En réalité, neutralisé. Quatre de ses proches sont également sanctionnés. Cela signifie qu'il ne peut rester à la tête de l'Ancyl, et qu'il ne pourra jouer le rôle central dans la bataille pour le contrôle du parti et du pouvoir en Afrique du Sud, qui aura lieu en décembre 2012 à Mangaung (Bloemfontein), lors du Congrès marquant le centenaire de l'ANC.
Il lui reste quelques jours pour faire appel. Ensuite, ce sera l'inconnu. Julius Malema, personnalité politique la plus dérangeante d'Afrique du Sud, est peut-être à terre, mais il n'est pas encore mort (politiquement). Quatre ans plus tôt, en 2008, il avait dit "être prêt à tuer et à mourir" pour Jacob Zuma, qui tentait alors de prendre le contrôle de l'ANC et était l'objet de poursuites dans le cadre - notamment - d'affaires de corruptions. Désormais, c'est contre Zuma qu'il se bat. Avec une ambition à la mesure de la peur qu'il inspire à une grande partie de la classe dirigeante sud-africaine.
En août, ses partisans ont déclenché une émeute dans le centre de Johannesburg lorsque le comité disciplinaire a commencé à se réunir, brûlant des drapeaux de l'ANC, frappant les policiers, criant des slogans hostiles à Jacob Zuma, montrant que rien ne leur faisait peur.
Aujourd'hui, des véhicules anti-émeute sont garés devant Luthuli House, le siège de l'ANC, où Julius Malema réunit, mercredi, une conférence de presse et déclare avec un sourire de satisfaction : "Nous verrons en temps voulu s'il convient que le président Zuma reste au pouvoir ou pas..."
Il y a tellement de monde que les derniers arrivés ne peuvent pénétrer dans le hall. On les repousse dans l'escalier, d'où ils tendent l'oreille pour être certains de ne rien rater lorsque parle l'homme en T-shirt jaune et béret. Julius Malema a pris du poids. Il a une drôle d'allure, désormais, dans son costume d'"economic freedom fighter" (combattant de la liberté économique). Il dit des choses simples : il est persécuté, mais il finira par avoir raison du "capital monopolistique blanc".
La simplicité est l'une des armes favorites de Malema. Cela peut l'entraîner à raconter des choses inexactes, mais aussi à pointer des réalités sud-africaines que beaucoup de dirigeants ont choisi d'ignorer. Julius Malema est un populiste qui met le doigt dans les plaies. Comme, par exemple, en rappelant que dix-sept ans après l'avènement du "miracle" sud-africain, les inégalités entre Noirs et Blancs se sont accrues, en dépit de l'apparition d'une petite classe moyenne noire.
Julius Malema n'est pas un amateur de la "nation arc-en-ciel", bimbeloterie symbolique inventée en 1994 pour sortir de l'apartheid sans que le pays s'entre-tue. Il puise son vocabulaire dans la phraséologie radicale des années 1970, et pense racial.
Le pouvoir économique est resté essentiellement contrôlé par les Blancs ? Julius le veut pour les Noirs. Quels Noirs ? La grande majorité des jeunes qui ne seront jamais employés et croupissent dans les baraques en tôle des bidonvilles ? Ou les nouveaux riches qui profitent de la corruption ambiante ?
Ces "tenderpreneurs" (entrepreneurs en marchés publics) obtiennent des marchés profitables grâce à leurs connexions politiques. Des enquêtes sont en cours pour déterminer si Malema, qui propose de saisir les terres des Blancs "sans compensation" et de nationaliser les mines sud-africaines, a bénéficié de cette manne. Cela n'enlève rien au problème sud-africain. Au contraire, cela le révèle. Julius Malema fait rêver la jeunesse pauvre avec son enrichissement mystérieux et ses grosses montres parce que les voies classiques d'accès à la prospérité sont bouchées.
Quand il n'est pas dans sa tenue d'economic freedom fighter, Julius Malema s'habille comme on s'habille à Johannesburg quand l'argent vous sourit. Costumes un peu voyants, couleurs un peu vives, chaussures un peu trop pointues, montres un peu trop chères. Il n'est pas le seul. Dans la capitale économique de l'Afrique du Sud, née il y a un peu plus d'un siècle dans une ruée vers l'or, le succès doit se voir. On ne sait jamais s'il durera... L'enfant pauvre de Seshego, dans la province du Limpopo, a grandi dans une maison sans père, sans argent, sans bonheur. Il était inscrit dans le mouvement des pionniers de l'ANC dès l'âge de 9 ans. Il portait alors le béret des "camarades", ceux de la lutte, comme les membres de la branche armée de l'ANC, Umkhonto wo Sizwe (MK).
Malema n'est pas membre de MK, dont les troupes vont être utilisées après la légalisation de l'ANC, en 1990, dans les combats qui mènent le pays aux frontières de la guerre civile. En 1993, l'assassinat du chef de MK, Chris Hani, manque d'être l'étincelle qui aurait embrasé le pays. Par miracle, les responsables politiques évitent la catastrophe. Le jeune Malema a 12 ans et s'enfuit de son Limpopo natal pour aller assister à l'enterrement du leader assassiné. Quand il affirme : "Je suis né ANC, je mourrai ANC, je n'ai pas besoin de carte pour être ANC", il est évident qu'il ne joue pas avec les mots.

Jean-Philppe Rémy
jpremy@lemonde.fr
Article paru dans l'édition du 18.11.11
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