(Afriques en Lutte 21/11/2011)
KINSHASA - La détérioration de la sécurité, la pauvreté et l’analphabétisme endémiques, les difficultés logistiques et les allégations de truquage inquiètent les analystes et les activistes à l’approche des élections présidentielles et législatives prévues pour le 28 novembre en République démocratique du Congo (RDC).
La Commission électorale nationale indépendante (CENI) a rejeté les appels de l’opposition en faveur d’un report des élections dans le but de permettre une meilleure organisation. Il s’agit du second scrutin démocratique depuis l’indépendance du pays en 1960.
« Si les choses demeurent telles qu’elles sont - c’est-à-dire si l’absence de dialogue se poursuit entre la commission électorale et les partis politiques au sujet du processus électoral, ainsi qu’entre la commission, la société civile et la communauté internationale - et que les élections ont lieu comme prévu, cela pourrait provoquer des violences », a dit à IRIN à Kinshasa Jérôme Bonso, président de la Ligue nationale pour les élections libres et transparentes (Linelit).
Selon M. Bonso, les élections de novembre auront lieu dans un contexte différent de celui du dernier scrutin, qui s’était tenu en 2006.
« Nous devons tenir compte d’événements tels que les révolutions du Printemps arabe, qui ont permis aux populations d’obtenir un changement de régime dans leurs pays respectifs. La réalité sur le terrain, c’est que les Congolais ont besoin de changement », a dit M. Bonso. « S’ils ne l’obtiennent pas grâce aux élections, il est possible qu’ils empruntent la même voie que la population des pays arabes ».
D’après M. Bonso, une série de manifestations ont déjà poussé la CENI à autoriser des représentants de l’opposition à procéder à une vérification de sa base de données. Les noms de certains candidats populaires auraient en effet été « effacés » de cette base.
Dans une déclaration [ http://www.fiacat.org/IMG/pdf/DRC_2... ] publiée le 28 octobre - le jour du lancement officiel des campagnes -, 41 organisations non gouvernementales (ONG) nationales et internationales ont appelé à l’adoption de mesures urgentes pour prévenir la violence électorale, mieux protéger les civils et assurer des élections crédibles, libres et transparentes.
« Ces élections sont un test ultime », a déclaré Thierry Vircoulon, directeur du programme Afrique centrale de l’International Crisis Group (ICG). « La RDC est-elle en voie de consolider sa démocratie naissante ou de retourner à un état d’instabilité, d’insécurité et de violence généralisée ? Ces secondes élections sont cruciales pour consolider le gain démocratique du pays, achever un cycle électoral complet et renforcer les institutions de la démocratie ».
Dans la déclaration, les ONG indiquent que des événements récents ont révélé un potentiel alarmant de violence et de déstabilisation pendant la période électorale. En septembre, des affrontements entre les manifestants et les forces de l’ordre ont fait plusieurs morts et blessés dans la capitale.
« À cette violence liée aux élections s’ajoute l’insécurité généralisée qui ravage le pays depuis des années, avec une augmentation récente du nombre d’attaques contre les travailleurs humanitaires. En octobre, la RDC a connu l’incident le plus mortel de toute son histoire avec le meurtre de cinq humanitaires au Sud-Kivu », ont indiqué les ONG.
« Les forces de sécurité de la RDC peinent déjà à faire face à l’insécurité existante et ne sont pas en mesure de répondre à une escalade de la violence ».
Absence de vision
Selon Phillip Biyoya Makutu, professeur de sciences politiques et de relations internationales et directeur de l’Institut panafricain des relations internationales et stratégiques (IPRIS), les conditions nécessaires à la tenue d’élections transparentes ne sont pas réunies.
« À mon avis, le scrutin à venir risque plus d’affaiblir le Congo que de le renforcer. En effet, le consensus n’a pas été respecté [pour la création de la CENI] et il semble que nous agissions sans vision claire de l’avenir », a dit M. Biyoya. « Les élections seront probablement menées dans le but de satisfaire des intérêts personnels. En effet, les candidats ne privilégient pas les aspirations des électeurs ; ils se contentent de se faire concurrence les uns aux autres - c’est une lutte de personnalités ».
Dans un communiqué daté du 17 octobre, le Centre Carter [ http://www.cartercenter.org/resourc... ] [qui a déployé en RDC une mission d’observation électorale] a signalé des retards dans le processus électoral et évoqué les défis logistiques rencontrés, notamment ceux qui concernent la conception et l’impression des bulletins de vote.
« La CENI et ses partenaires, notamment la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO), qui fournit, entre autres, un soutien aérien pour la distribution du matériel électoral, disposent de très peu de temps pour assurer la distribution de l’ensemble du matériel nécessaire pour les élections présidentielles et législatives du 28 novembre », a indiqué le Centre. « Le nombre très élevé de candidats à la députation nationale - 18 386 - pose un défi de taille pour la conception, l’impression et la distribution des bulletins de vote, ainsi que pour l’adaptation de ces bulletins de vote de dimensions inhabituelles aux urnes. En outre, la production et la distribution des urnes sont toujours en cours ».
Selon le vice-président de la CENI, Jacques Djoli Eseng’Ekeli, le calendrier de travail serré de la CENI est le résultat d’une décision parlementaire. En effet, bien que la CENI existe légalement depuis juillet 2010, elle n’a été créée, dans les faits, qu’en mars 2011.
« C’est seulement à partir de ce moment-là que nous avons commencé les préparatifs et la planification des élections. Les partis politiques et les représentants de la société civile souhaitaient tous que l’organisation du scrutin respecte les conditions prévues par la Constitution, c’est-à-dire que le mandat du président actuel se termine comme prévu le 6 décembre. Ils voulaient aussi que les élections présidentielles et législatives se déroulent simultanément. Compte tenu de ces exigences, la CENI a dû travailler dans des délais très serrés ».
M. Djoli a ajouté que la CENI était prête pour le scrutin du 28 novembre, que l’impression des bulletins de vote en Afrique du Sud était presque terminée et que les urnes arriveraient sous peu de la Chine.
« L’armée sud-africaine nous aidera à acheminer les bulletins de vote dans 15 points de chute répartis dans l’ensemble du pays et, de là, ils seront distribués avec l’aide de la MONUSCO », a dit M. Djoli. « D’après le calendrier électoral, la distribution du matériel électoral doit avoir lieu entre le 22 octobre et le 20 novembre. Au niveau logistique, nous essayons de respecter les délais prescrits ».
En tant que principal soutien financier des élections, le gouvernement cherche à faciliter le processus, a dit M. Djoli. « Il nous verse les fonds comme il l’entend ; hier [18 octobre], nous avons reçu 20 millions de dollars. Nous espérons obtenir 30 millions de dollars supplémentaires d’ici la fin de la semaine afin de finir de payer nos prestataires. Ce sont surtout des fournisseurs d’avions, car la majeure partie des opérations sont effectuées par avion ».
Composition de la CENI
D’après M. Biyoya, le professeur de sciences politiques et de relations internationales, la société civile a été exclue du processus de création de la CENI, qui devait pourtant être le fruit d’un consensus.
« En conséquence, le contexte électoral actuel n’est pas à la confiance ; l’opposition se méfie et élève de nombreuses contestations », a-t-il dit. Pour comprendre comment les prochaines élections pourraient conduire à une crise, il faut comprendre comment se sont déroulés les préparatifs du scrutin jusqu’à présent.
« En milieu d’année, les autorités ont amendé la constitution nationale afin d’ouvrir la voie à une élection présidentielle à un tour, au lieu des dispositions antérieures prévoyant un second tour dans l’éventualité où aucune majorité ne se détacherait clairement. Cet amendement a été adopté pour servir les intérêts des individus ». Mais la réalité sur le terrain , a jouté M. Biyoya, est que la majorité des Congolais souhaitent un changement, notamment de leur situation socio-économique.
« La pauvreté est endémique, la fourniture des services de base, inadaptée, le chômage, généralisé et les droits humains ne sont pas respectés », a dit M. Biyoya. « Et cela aboutit à une situation catastrophique pour ce qui est des services sociaux. La question que les Congolais se posent est : ’les choses vont-elles changer ?’. Pas grand-chose n’a changé depuis 2006. Les salaires restent bas et les travailleurs sont souvent payés en retard, ce qui explique la fréquence des grèves pour contester les conditions de salaire et de travail. Le gouvernement répond qu’il travaille à l’amélioration des infrastructures telles que les routes, mais il semble avoir négligé le bien-être des citoyens ».
Appui international
Bien que les élections bénéficient d’un appui international par le biais des Nations Unies, de l’Union européenne et d’autres organisations, le fait qu’il ne soit pas aussi important qu’en 2006 pourrait affecter la tenue et les résultats du scrutin, selon M. Biyoya.
« La légitimité des résultats de l’élection dépendra néanmoins de l’arbitrage de la communauté internationale. Cette fois-ci au moins, il semblerait que la communauté internationale soit prête à sanctionner ou à agir en cas de problèmes de transparence ou de crédibilité des élections », a dit M. Biyoya. « La France et le Conseil de sécurité des Nations Unies ont déjà fait des déclarations. Cela signifie qu’ils surveillent le processus de près ».
Le candidat à la présidence de l’opposition, Oscar Kashala Lukumuena, de l’Union pour la reconstruction du Congo (UPREC), a dit que la principale inquiétude de l’opposition concernait le processus électoral.
« Prenez l’inscription des électeurs par exemple. Ce processus s’est déroulé conformément aux principes inscrits dans la Constitution et 32,5 millions d’électeurs ont été inscrits au départ. Toutefois, lorsque le registre des électeurs a été publié en ligne, plus de 119 000 irrégularités ont été constatées. Certaines ont certes été rectifiées depuis, mais les corrections ont entraîné des retards ; la commission électorale était censée publier cette liste 30 jours au moins avant le lancement de la campagne (28 octobre), mais cela vient juste d’être fait », a dit M. Kashala.
« Nous avons fait part de ces inquiétudes à la CENI, car les élections doivent se faire de façon professionnelle et transparente. L’opposition n’est pas contre la tenue des élections, nous sommes simplement sceptiques quant à leur transparence. Nous ne voulons pas voir une seule goutte de sang congolais versée après les élections, c’est pourquoi j’en appelle à mes adversaires, au gouvernement et à la commission électorale, afin de garantir que le pays ne retombe pas dans la violence ».
Inquiétudes relatives à la transparence
Aubin Minaku, le secrétaire général de la Majorité présidentielle, la coalition au pouvoir du président Joseph Kabila, a dit : « L’opposition prétend que la CENI est favorable à la Majorité présidentielle, mais nous avons choisi nos quatre candidats à la CENI parmi la société civile, tandis que les trois candidats de l’opposition viennent de partis politiques ; le président [de la CENI] est issu de la société civile et l’un de nos représentants est une femme ».
D’après M. Minaku, l’opposition devrait dépêcher ses agents dans chaque bureau de vote afin de prévenir la fraude. « Ils peuvent également présenter un recours auprès des tribunaux en cas de truquage ou de fraude. Nous sommes prêts pour les élections et croyons à la victoire. Si l’opposition n’est pas prête, elle ne devrait pas se servir d’accusations de truquage comme prétexte ».
Christopher Ngoyi Mutamba, président et coordinateur de Synergie Congo culturel et développement (SCCD), a souligné le fait que la société civile s’inquiétait de la transparence des élections.
« Bien que la société civile n’ait pas été consultée sur le choix des membres de la CENI, nous pensons que les personnes désignées doivent rendre des comptes au peuple. Jusqu’à présent, il semblerait qu’il y ait eu un manque de transparence. Nous avons déposé de nombreuses plaintes auprès de la commission et même des organisations internationales de défense des droits humains, en dénonçant le manque de parité hommes-femmes dans la composition de la CENI ».
D’après M. Ngoyi, l’insécurité s’est accrue à l’échelle nationale depuis le début du processus électoral. « Ici à Kinshasa, par exemple, je ne peux plus marcher seul dans la rue, je dois être accompagné de mon équipe lorsque nous cherchons à sensibiliser la population au sujet des élections ; on ne peut pas tenir des élections si les gens ne sont pas informés de leurs droits, on ne peut pas tenir des élections si les candidats de l’opposition ne sont pas libres de circuler ».
Source : http://www.irinnews.org
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