(Le Temps.ch 14/11/2011) Nairobi bruisse de rumeurs sur un soutien français avec l’appui intéressé du groupe Total pour une prospection offshore sur une bande maritime au sud de la Somalie.
«Nous devons aller jusqu’au bout de notre mission en Somalie», répète le président kényan, Mwai Kibaki. Cependant, plus de trois semaines après le début de l’intervention militaire dans le sud de la Somalie pour lutter contre les insurgés islamistes, des doutes surgissent sur la clairvoyance d’une telle aventure. D’abord sur la méthode. «Envoyer des chars en pleine saison des pluies est surprenant, estime Lazarus Sumbeiywo, ancien chef d’état-major. Mais surtout, en tant que professionnel, j’aurais déployé l’armée sur la frontière et ensuite opéré des frappes chirurgicales, avec des unités commandos, sur la base de renseignements efficaces.» L’ennemi est en effet volatil et va multiplier les embuscades typiques des guérillas.
Entité du «Jubaland»
Mais au-delà de la stratégie militaire, c’est l’objectif même de l’opération qui reste à définir. Comme l’Ethiopie voisine, le Kenya cherche à protéger son territoire du chaos somalien en installant une zone tampon, chasser les shebab de leur bastion du port de Kismayo, qui est également leur poumon financier. «La grande inconnue c’est que faire après la prise de Kismayo, s’interroge Rashid Abdi de l’International Crisis Group. Les Kényans, qui sont partis la fleur au fusil, vont finir très vite par réaliser leur erreur, d’autant que dans la région, chaque pays joue sa carte et préfère protéger ses intérêts plutôt que de réellement rétablir la paix en Somalie.»
Depuis deux ans, le Kenya soutient l’initiative du «Jubaland», consistant à mettre en place une entité semi-autonome autoproclamée, appelée l’Etat d’Azania dans trois régions du sud (Bas-Juba, Moyen-Juba et Gedo). A sa tête, Mohamed Abdi Mohamed, surnommé Gandhi, un Franco-Somalien, ancien ministre de la Défense. «Le projet avance bien, nous avons déjà désigné des députés, des gouverneurs… L’administration s’installe au fur et à mesure que les zones sont libérées, déclare-t-il. Mais mon succès provoque des jalousies et des accusations infondées.»
Depuis plusieurs semaines, Nairobi bruisse en effet de rumeurs sur un soutien français. En cause, sa proximité avec la société pétrolière Total. En février 2001, Gandhi avait servi d’intermédiaire avec le gouvernement de transition somalien de l’époque pour la signature d’un accord d’évaluation technique pour la prospection offshore sur une bande maritime du sud de la Somalie. «Total ne nous apporte aucun soutien, déclare-t-il, mais les relations sont bonnes et ils seront les bienvenus quand la paix sera de retour.» Il ajoute que l’accord a été reconduit en 2004, par le gouvernement de transition d’Abdulahi Yusuf, ce que la société pétrolière française n’a pas confirmé. «L’accord n’est plus d’actualité», répond Frédéric Texier, porte-parole de Total à Paris. Fin septembre, les soupçons ont repris de plus belle quand l’entreprise a acquis 40% dans cinq permis offshore dans le bassin de Lamu, jouxtant le sud de la Somalie.
Le 23 octobre, le porte-parole de l’armée kényane, Emmanuel Chirchir, avait affirmé qu’un navire français avait bombardé Kuday, un village au sud de Kismayo. L’état-major à Paris avait catégoriquement démenti ces déclarations, ajoutant que la France apportait uniquement un soutien logistique sous la forme d’un avion Transall effectuant des rotations de Nairobi jusqu’à Wajir, dans le nord du Kenya pour transporter du matériel de l’armée kényane. «Il s’agit d’une intervention purement kényane», renchérit le député Mohamed Affey, ancien ambassadeur du Kenya pour la Somalie affirmant que cet engagement n’obéit à aucun agenda international et vise «à jeter les bases d’un dialogue politique pour que les Somaliens puissent enfin bénéficier d’institutions viables».
Cet optimisme n’est pas forcément partagé dans les cercles diplomatiques. Peu de pays ont affirmé haut et fort qu’ils soutenaient l’intervention kényane, privilégiant la prudence. «C’est une situation fluide et complexe, dont nous ne connaissons pas l’issue. Il y a plusieurs risques: le vide, ou que celui qui prenne le pouvoir ne soit pas assez fort», estime un diplomate occidental basé à Nairobi.
Rivalités multiples
Kismayo est en effet convoité par plus d’un candidat et marqué par une rivalité historique au sein de la confédération clanique Darod: entre les clans Ogaden et Marehan. A cette première couche, s’imbrique une deuxième rivalité, celle des pays de la région. Actuellement, un chef de guerre, Ahmed «Madobe», qui a fait scission avec les shebab en octobre 2009, se bat en première ligne avec sa brigade Ras Kambooni soutenu par les troupes kényanes. Il est également soutenu par l’Ethiopie, qui voit les ambitions de Gandhi d’un mauvais œil et qui traite avec un autre chef de guerre, Barre Hirale. Des rivalités à plusieurs niveaux potentiellement explosives et il faudra plus qu’une réussite militaire pour instaurer une vraie stabilité dans cette région du sud de la Somalie.
Stéphanie Braquehais Nairobi
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