mercredi 30 novembre 2011

Ghana - JOHN KUFUOR, ANCIEN PRESIDENT DU GHANA: « L’agriculture africaine est restée en marge du progrès »

(Le Pays 30/11/2011)
Le président John Kufuor évoque, dans la tribune ci-dessous, les défis de l’agriculture en Afrique et la place de la science dans l’amélioration des rendements. Il estime que l’agriculture, en Afrique, n’a pas suivi les progrès scientifiques et techniques. John Kufuor, président du Ghana de 2001 à 2009, est lauréat 2011 du Prix mondial de l’alimentation. Le Forum sur l’agriculture africaine du Réseau panafricain pour la chimie s’est tenu à Accra du 21 au 23 novembre.« Rien n’illustre mieux l’importance de la science pour l’agriculture africaine que la différence de productivité agricole entre notre continent et le monde. La productivité agricole mondiale a augmenté de 140% au cours des dernières décennies. Dans le même temps, en Afrique subsaharienne, elle a régressé. Les efforts déployés par les agriculteurs africains ne sont pas en cause ici. L’agriculture reste pour beaucoup une occupation épuisante, de l’aube au crépuscule, qui offre peu de répit et de rares satisfactions. C’est bien parce que l’agriculture a peu évolué sur notre continent que la science peut encore jouer un rôle essentiel. Ces chiffres déplorables rappellent que l’agriculture africaine est restée en marge des progrès scientifiques et techniques qui ont permis de multiplier les rendements dans de nombreuses autres parties du monde. Les nouvelles variétés de graines, d’engrais et de pesticides, les nouvelles techniques agricoles, maintenant globalement rependues, sont restées hors de portée des agriculteurs africains.
Les investissements dans ce secteur clé - qui permettent de mettre en œuvre ces découvertes à grande échelle - sont restés eux-aussi remarquablement insuffisants. Nous pouvons mesurer aujourd’hui les résultats de cette inconséquence. Une personne sur trois en Afrique sub saharienne souffre de faim chronique, la plus forte proportion au monde. Beaucoup d’autres sont sous-alimentés. Or, la malnutrition freine le progrès et handicape le développement de nombreuses vies. La malnutrition pendant la grossesse et l’enfance ralentit la croissance, fragilise la santé et réduit l’essor des facultés cognitives, notamment à l’école. Ses effets affectent l’économie et la société dans son ensemble, augmentant le coût des soins de santé, réduisant la productivité et la vitalité économique.
Le changement climatique rend ces défis pires encore. Même si les citoyens africains ont peu contribué à l’augmentation des émissions de CO2 dans l’atmosphère, notre continent n’échappera pas à ses effets. Déjà, les terres productives et les réserves d’eau s’amenuisent. Au Ghana, notre expérience a pourtant montré les progrès que la science peut apporter. En diffusant et vulgarisant les dernières connaissances scientifiques et, surtout, en accompagnant les agriculteurs pour leur permettre d’en tirer pleinement profit, nous avons obtenu des résultats importants. La production de cacao, une culture vitale pour le Ghana, a pratiquement triplé en dix ans.
La production de céréales et d’aliments de base comme le plantain, l’igname et le manioc, a aussi augmenté spectaculairement. En une décennie, le Ghana est passé d’importateur à exportateur net de produits agricoles. Notre production ne suffisait pas à nous nourrir ; en une décennie, nous avons progressé suffisamment pour exporter aujourd’hui nos surplus. Comme nous l’avons constaté dans d’autres parties du monde, la transformation de l’agriculture est aussi un puissant vecteur de progrès. Le Ghana est devenu le premier pays africain à réduire la pauvreté de moitié, complétant cet Objectif du millénaire avec sept ans d’avance. L’amélioration du secteur agricole au Ghana est, je crois, un exemple de réussite, mais de nombreux autres succès sont à l’œuvre en Afrique. Partout où des partenariats ambitieux se nouent entre scientifiques, agriculteurs et gouvernements, nous observons des résultats tout aussi impressionnants.
La tâche consiste maintenant à renforcer et à élargir ces partenariats, un objectif clé du Réseau panafricain pour la chimie, qui se réunit au Ghana fin novembre. Je rends hommage à la Société royale de chimie et à Syngenta pour leur soutien à cette collaboration académique importante. Car, il reste encore beaucoup à faire. Malgré certains progrès, les rendements agricoles en Afrique demeurent largement inférieurs à la moyenne mondiale. Nous avons besoin de rassembler les instituts de recherche sur le continent et au-delà, et de développer de nouvelles souches adaptées aux conditions climatiques propres à l’Afrique.
Avec des précipitations de plus en plus irrégulières, nous devons concentrer nos efforts sur des variétés moins gourmandes en eau et adapter nos techniques agricoles. Une des raisons de la faiblesse des rendements agricoles en Afrique réside dans le faible taux d’irrigation des terres cultivées. Le potentiel de développement sur cette question est immense. Avec le changement climatique et une pression grandissante sur les ressources naturelles, nous devons aussi trouver le moyen de cultiver avec moins d’eau. Les problèmes liés à l’eau sont aggravés par une multitude d’autres facteurs. Le transport des denrées alimentaires, des producteurs aux villes souffre du mauvais état des routes et de coûts de transport toujours plus élevés.
Sans infrastructure de stockage, les produits commencent souvent à pourrir avant même de pouvoir être vendus sur les marchés. A défaut de pouvoir valoriser leur production locale, les pays en développement se retrouvent ainsi forcés à importer des produits finis à des coûts bien plus élevés. La solution à long terme doit être une agriculture réellement durable, aussi bien dans les petites exploitations, qui rassemblent la majorité des producteurs en Afrique, que dans les grandes exploitations commerciales. Nous avons besoin des deux si nous voulons répondre aux besoins alimentaires du continent.
Comme le démontre la conférence d’Accra, nous assistons à un effort déterminé de la communauté scientifique pour trouver des solutions aux problèmes agricoles de l’Afrique. Si nous menons à bien cette tâche, et que les gouvernements et les donateurs fournissent les investissements nécessaires, l’agriculture africaine aura devant elle un avenir radieux. »

John Kufuor, ancien président du Ghana

© Copyright Le Pays

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire