(Courrier International 17/11/2011)
Créée par la fondation suisse Hirondelle et l’ONU, Radio Okapi est devenue un élément essentiel au bon déroulement des élections en République Démocratique du Congo qui se tiennent le 28 novembre prochain.
Les escarpins noirs de Suzanne Nzobo s'enfoncent dans le sable mou du complexe scolaire Tobongisa, à l'ouest de Kinshasa. "Je suis journaliste à Radio Okapi. Je viens voir ce qui se passe avec le centre d'enrôlement. On m'a dit que le personnel était en grève", lance la jeune femme. L'un des employés du site confirme : le centre chargé d'enregistrer les électeurs est au point mort. L'homme cherche son contrat de travail, pour lui prouver que celui-ci n'est pas respecté : les employés chargés d'enrôler les électeurs devraient être payés 300 dollars (270 francs) par mois, mais ils travaillent depuis huit semaines et n'ont pas vu la couleur d'un billet. “Il nous faut nourrir nos familles”, argumente-t-il au micro de la Congolaise. La veille déjà, le centre n'avait pas enregistré le moindre citoyen, en raison d'une pénurie de cartes d'électeurs. Un couac parmi tant d'autres dans la constitution du fichier électoral qui doit être bouclée dix jours plus tard - nous sommes alors fin juin.
Suzanne Nzobo a l'habitude : les soubresauts du processus électoral sont le pain quotidien d'une grande partie des 157 journalistes de sa radio depuis des mois. Et ils le resteront jusqu'au 28 novembre au moins. Le pays n'a connu ses premières élections libres qu'en 2006, la démocratie reste balbutiante. Alors, à la veille du scrutin, Radio Okapi affronte, l'une après l'autre, les étapes du sinueux processus. Jour après jour, elle se doit d'expliquer aux auditeurs leurs droits civiques et le fonctionnement du vote. Elle doit exposer les étapes de l'adoption et de la promulgation de la loi électorale, discuter le calendrier retenu par la CENI (Commission électorale nationale indépendante). Faire exister le débat entre la majorité du président Joseph Kabila Kabange et l'opposition, multiforme.
Tout comme elle se doit de montrer les couacs : personnes enregistrées plusieurs fois, mineurs obtenant des cartes d'électeurs, grève dans un centre d'enrôlement pour cause de salaires impayés. Si elle n'en parle pas, personne ne le fera. Porte-parole de la CENI, Jean-Baptiste Itipo le reconnaît: "Okapi est un partenaire essentiel pour la diffusion des informations sur le processus électoral."
La pénurie de transports publics et l'insécurité font que Suzanne Nzobo et ses collègues descendent sur le terrain à bord des véhicules fournis par les Nations Unies et la fondation suisse Hirondelle. Les deux organisations ont créé la radio en 2002 et continuent de la financer et de l'encadrer.
Le quartier général et les studios du premier média de République démocratique du Congo (RDC) se cachent derrière les barbelés de la Mission de l'Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en RDC, la Monusco, dans le quartier privilégié de la Gombe. Les journalistes y côtoient les casques bleus canadiens, bangladais ou chinois postés dans ce pays encore sujet aux épisodes violents - à l'est en particulier - au sortir de 32 ans de dictature mobutiste, ponctuée par deux guerres et des pillages ravageurs.
Toutes les figures importantes du pays répondent aux questions d'Okapi, parce que, avec ses 14 millions d'auditeurs quotidiens, la radio est le vecteur qui permet d'atteindre le plus de citoyens. En termes techniques, elle est le seul canal à même de couvrir l'immensité de la RDC (quatre fois la France).
En termes de contenu, elle n'a rien à voir avec le reste du paysage médiatique congolais - excessivement riche et pauvre à la fois. Riche, parce que ce territoire de 70 millions d'habitants compte à peu près 400 stations de radios tandis que sa seule capitale abrite une cinquantaine de télévisions. Pauvre, parce que le contexte économico-politique interdit largement l'information libre.
Faute de moyens, la plupart des médias sont inféodés à ceux qui les font vivre - souvent des hommes politiques ou d'église souhaitant disposer de leur propre canal. La pratique dite du "coupage" s'est par ailleurs imposée comme modèle économique. Les journalistes n'étant que peu ou pas payés, ceux qui souhaitent apparaître dans les médias (politiciens, entrepreneurs, associations, etc.) leur glissent quelques dollars en échange d'un sujet évidemment flatteur - sur leurs actions. En dehors d'Okapi (dont les journalistes sont rémunérés 1000 dollars par mois), qui peut se permettre, dans cette économie laminée, de suffisamment payer ses employés pour qu'ils résistent à cette corruption?
Certaines pressions sont autrement plus brutales: neuf journalistes ont été abattus en RDC depuis 2005, selon l'organisation non gouvernementale Journaliste en danger, basée à Kinshasa.
ZOOM 217 personnes et 16 bureaux
Okapi est le plus grand projet de la Fondation Hirondelle, basée à Lausanne : la radio emploie 217 personnes réparties dans 16 bureaux à travers le pays.
Créée en 1995 par les journalistes suisses Philippe Dahinden, François Gross et Jean-Marie Etter (tous issus de la SSR), celle-ci a depuis piloté neuf projets de radios et une agence de presse dans des régions de crise (Rwanda, Liberia, Kosovo, République centrafricaine, Timor oriental, RDC, Soudan, Sierra Leone, Népal).
En 2011, Okapi pèse ainsi 3,6 millions de francs dans le budget d'Hirondelle, soit 42% de son enveloppe totale. Des montants financés par des donateurs essentiellement issus de la coopération internationale (Royaume-Uni, Suède, Belgique, Suisse, Pays-Bas, Allemagne, Etats-Unis). Le reste des frais est pris en charge par l'ONU. Le budget total de la radio est estimé à 13 millions de dollars (11,7 millions de francs) par an, indique Amadou Ba, chef de l'antenne employé par l'ONU.
La Fondation Hirondelle et les Nations Unies ont récemment signé un nouvel accord-cadre régissant leurs relations. Celuici confirme le modèle de double commande avec lequel les deux institutions pilotent Okapi. Ainsi l'adjoint d'Amadou Ba, Bernard Conchon, est-il employé par Hirondelle. Les deux hommes ne sont pas Congolais mais le reste du personnel déployé en RDC est recruté localement.
Linda Bourget | L'Hebdo
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