(Le Pays 15/07/2010)
Les sinistres geôles de Paul Biya n’ont pas eu raison de lui, mais une anonyme route américaine. Même loin du Cameroun, Pius NJawé, le directeur du groupe de presse "Le Messager", vient de connaître une fin tragique, les armes à la main. Il prenait part, aux Etats-Unis, à une convention de la diaspora camerounaise sur l’alternance dans son pays. Il était donc à fond dans son rôle, celui qu’il n’a jamais cessé de jouer depuis qu’il a lancé son journal "Le Messager".
C’était cela Pius Njawé : aller partout, au Cameroun et dans le monde, là où le devoir l’appelait. C’était un citoyen du monde. Généreux avec les autres, patriote convaincu, il n’était ni rancunier, ni égoïste. Les journalistes qui ont eu la chance de le côtoyer gardent de lui les souvenirs d’un confrère bouillonnant d’idées et toujours prêt à les partager avec les autres. Il ne se battait pas que pour le Cameroun ; il avait une vision panafricaine du journalisme. Il a d’ailleurs été de tous les combats pour une plus grande liberté de presse en Afrique, depuis la Déclaration de Windhoek en 1991, qui a jeté les bases du renouveau de la presse sur le continent.
Mais c’est surtout chez lui, au Cameroun, que le combat de Pius s’est le plus enraciné. Il a mené sa lutte de l’intérieur, sans jamais craindre les foudres d’un régime dictatorial. Presque en solitaire, il s’est battu avec la seule arme dont il disposait, la plume, pour débroussailler le champ de la démocratie et la liberté de presse tout envahi de ronces. Une action dans l’adversité. Le régime, le prenant pour ce qu’il n’est pas, c’est-à-dire un ennemi à abattre, ne lui fera pas de cadeau. Ses séjours en prison ne se comptent pas.
Mais il est une arme plus redoutable dont avait fini par user le pouvoir camerounais, pour faire plier Pius : celle du sevrage en publicité. On le sait, un organe de presse sans annonceurs, sous nos tropiques, c’est presque la mort assurée. "Le Messager", malgré son énorme lectorat, n’a pas échappé à la règle. Ces dernières années, le journal, étouffé économiquement, est au bord de l’asphyxie. Pius ne manquait pas d’en parler : "Nous sommes quasiment exclus du marché de la publicité institutionnelle. Les sociétés d’Etat nous boudent ou ne paient pas". Voilà comment on assassine à petit feu « Le Messager ». Voilà aussi pourquoi, plus que jamais, la flamme de ce journal doit briller au firmament. "Le Messager" doit survivre à son fondateur. Et il le sera sans doute.
Mais qu’attendre du gouvernement camérounais ? Beaucoup de larmes de crocodile sans doute. Et quelques gestes pour montrer son affliction pour une "aussi grande perte". Mais personne n’est dupe. Un régime qui a combattu aussi férocement un journaliste ne peut changer du jour au lendemain, ouvrir l’espace des libertés, et permettre au "Messager" de s’épanouir dans l’indépendance chère à son géniteur. Les gestes de solidarité viendront d’ailleurs, des vrais démocrates. Les Etats-Unis, pays très attaché à la liberté de presse et cher à Pius ont, à cet égard, un grand rôle à jouer. D’abord en faisant toute la lumière sur cet accident. Ensuite en oeuvrant de concert avec les autres pays, pour amener le régime Biya à se ressaisir. Mais on imagine aisément que la tâche ne sera pas aisée. Car au moment même où Pius se vidait de son sang, Paul Biya était reçu en grandes pompes à Paris par Sarkozy. Le champagne a dû couler à flots. Et tant pis pour les hôpitaux sans médicaments, les classes sans enseignants, les chômeurs sans boulot du Cameroun.
L’Elysée a beau faire des restrictions budgétaires pour ce 14-Juillet, avec Paul Biya, on ne regarde pas à la dépense. N’avait-il pas dépensé 800 000 euros pour ses vacances à …La Baule l’année dernière ? Un vrai pied de nez à Mitterrand qui doit bien se retourner dans sa tombe. Il en faut donc beaucoup de courage aux héritiers de Pius, ce carré de fidèles qui ont cru en sa mission et s’attacheront certainement à la perpétuer.
Mahorou KANAZOE
© Copyright Le Pays
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire