(L'Observateur Paalga 28/07/2010)
Le juge et le journaliste font souvent un travail complémentaire : le premier instruit à charge et à décharge, et est en quête de la vérité, rien que de la vérité, tandis que le second aide, par ses investigations, à éclairer une instruction avec ses articles. Certains vont jusqu’à assimiler les recherches du second à une enquête judiciaire, ce qui n’est pas exact.
La démocratie est fille d’une presse plurielle, alors que l’institution judiciaire, indispensable au soutènement de cette démocratie, en est le principal pilier. Si donc il arrive que ces deux pouvoirs s’affrontent, cela occasionne forcément des étincelles, des incompréhensions et des frustrations. Qui a souvent raison ? Qui a toujours tort ? Les conjectures vont bon train.
C’est le cas de le dire concernant l’affaire Théophile Kouamouo, directeur des rédactions du quotidien ivoirien Le Nouveau Courrier. Rappel succinct des faits pour ceux qui n’en auraient pas eu connaissance : dans un encadré du journal du 13 juillet 2010, on peut lire que, jusqu’au 17 juillet, une série d’articles consacrée à la filière café-cacao sera publiée. En fait, il s’agit d’extraits d’un long réquisitoire judiciaire de 137 pages, document qui avait été remis au président de la République, Laurent Gbagbo.
Dénommés le Livre noir des barons de la filière café-cacao, ces articles devaient révéler au grand public les mécanismes par lesquels certains barons de cette filière sont devenus des Crésus. C’est évident, lorsque les secrets d’une instruction se retrouvent sur la place publique, a fortiori dans un journal, il y a problème. Qui a “tuyauté” ces gratte-papiers du Nouveau courrier ?
Après avoir alpagué Patrice Pohé, conseiller à la communication du procureur de la République, la justice a rapidement remonté la chaîne de divulgation du document, et au fil de la conduite du dossier, 3 journalistes goûteront pendant 12 jours aux délices de la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA), accusés qu’ils étaient de “recel de document de justice couvert du secret de confidentialité, divulgation de document non encore publié en audience publique”. Si le Tribunal de première instance d’Abidjan-Plateau a prononcé par la suite la relaxe de nos confrères pour “délit non constitué”, c’est qu’il y eut absence de preuve, c’est un fait, mais, ne rêvons pas, la justice a toujours été celle des forts du moment.
La filière café-cacao est un des domaines réservés du premier magistrat de la Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo, qui a d’ailleurs envoyé certains caciques de son pouvoir en prison pour y avoir commis des indélicatesses. Mais c’est le même qui, lorsqu’il a étrenné la présidence en octobre 2000, avait promis qu’aucun journaliste n’irait en prison ; si on y ajoute le fait que le délit de presse est dépénalisé dans ce pays, on ne peut qu’applaudir le chef de l’Etat ivoirien.
Et encore ! A quelques jours du Cinquantenaire de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, le très politique Gbagbo sait entendre la clameur de réprobation qu’il aurait suscitée en gardant ces journalistes derrière les barreaux. Il a également une présidentielle devant lui... Mais il y a, comme qui dirait, des zones rouges à ne pas franchir, une sorte de Corpore sano, cette vérité étatique, incontestable et invérifiable qu’on livre aux populations, qui doivent s’en contenter.
Gare au journaliste qui se risquerait à fouiner dans cette vérité jugée irréfragable ! Kouamouo et Cie ont eu le malheur de vouloir rendre public des dossiers sensibles de la République et il fallait les arrêter. La justice, qui a frappé (l’amende de 5 millions et les 2 semaines de suspension du Canard ne sont pas rien), a eu la face sauve, la presse beaucoup moins. Au fait, est-ce là un délit de droit commun ou de presse ?
Ce procès met en lumière le fait que le bâillon est sous-jacent à la politique de la carotte pratiquée à l’égard des journalistes en Côte d’Ivoire. Encore heureux que ces pisse-copies du Nouveau Courrier n’aient connu que la prison : un certain André Guy-Kieffer, qui, semble-t-il, reniflait du côté de ce juteux secteur de café-cacao, est, lui, porté disparu depuis des années.
Par Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana
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