jeudi 29 juillet 2010

Mali - "Nous refusons d'abandonner si facilement le Sahel"

(L'Express 29/07/2010)
Gérard Guerrier, directeur général de l'entreprise Allibert Trekking qui emmène des groupes de touristes en Mauritanie ou au Mali, réagit aux mises en garde de Nicolas Sarkozy.
Après la mort de Michel Germaneau, l'otage français d'Al Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi), Nicolas Sarkozy a instamment demandé à tous les Français de ne plus se rendre dans le Sahel. Comment réagissez-vous à cette déclaration?
Ce message est un peu trop réducteur. Le message de président, désigne le Sahel, région de steppes et non de dunes, qui se trouve plutôt au sud de la zone dangereuse où évoluent les preneurs d'otage (ces derniers sont d'ailleurs plutôt des bandits de grand chemin ultra-violents avant d'être des islamistes), dans le nord du Niger, de la Mauritanie et du Mali, notamment au-dessus du fleuve Niger (voir notre carte). En évoquant la "bande sahélo-saharienne", Bernard Kouchner a été plus précis mais il désigne du coup une zone encore plus vaste.
Au-delà de ces approximations géographiques, on met au ban des nations un tiers du continent africain. Cela nous désole. Sans tomber dans l'angélisme, car ces zones ne sont effectivement pas les plus faciles, il faut connaître et rentrer dans le détail, car s'il existe des zones très dangereuses (Nord Mali par exemple), de nombreuses zones restent encore aujourd'hui très sûres. Par ailleurs, il me semble dangereux de laisser tomber les populations locales dans le cercle vicieux dans lequel les fanatiques veulent les entraîner.
De quel cercle vicieux parlez-vous?
Notre activité emploie des muliers, des âniers ou des chameliers locaux dans cette zone à l'économie fragile. Un exemple: 400 euros dépensés par un touriste en Mauritanie permettent à une personne de vivre pendant un an dans ce pays. En partant, on leur retirerait littéralement le pain de la bouche. Pour éviter la misère, certains tomberaient dans les trafics. Ajoutez un peu de propagande et les islamistes liés à Al Qaeda se nourriraient de cette situation. Par ailleurs, un étranger est vite repéré dans les localités où nous nous rendons. La sécurité dépend aussi du soutien de la population. Si vous partez, vous perdrez nécessairement un jour ce soutien.
Où travaillez-vous dans cette zone? Et sur la foi de quels critères avez-vous pris la décision de partir ou rester?
Ce que dit le site du Quai d'Orsay
Les fiches concernant le Mali, la Mauritanie, le Niger ont été mises à jour le 24 juillet. Le message général est le suivant: "en raison des menaces actuelles dans la zone sahélienne, il est recommandé aux Français résidents ou de passage de limiter leurs déplacements au strict nécessaire et de faire preuve de la plus extrême vigilance". Même mise en garde pour le sud de l'Algérie ou encore la Libye. Sur chaque fiche, une carte indique plus précisement les "zones rouges" que le ministère des Affaires étrangères recommande d'éviter. Nous nous fions bien entendu au site du Quai d'Orsay, mais pas seulement. Ceux qui rédigent ces notes (lire ci-contre) ne sont parfois pas ceux qui maîtrisent le mieux le terrain. Nous prenons aussi des informations sur les sites étrangers: après la mort de l'otage britannique Edwin Dyer, nous avons consulté des sources britanniques, par exemple, et l'Espagne est très pertinente également. Nous avons aussi des "antennes" sur le terrain, nos employés locaux ou nos partenaires. Dans le désert, tout se sait. Nous menons aussi des "missions sécurité" dans les zones sensibles où nous rencontrons les autorités locales civiles et militaires, nos représentants de l'ambassade en charge de la sécurité, etc.
Enfin, nous nous posons aussi une question simple, mais efficace: est-ce que j'y emmènerais mes enfants et est-ce que j'y dormirais tranquillement? Nous n'allons donc pas dans la zone réputée dangereuse mais nous travaillons dans la région plus au sud. Quelques exemples où l'on peut randonner en toute sécurité: l'Adrar en Mauritanie, le pays dogon au Mali, mais aussi l'Atakor, le tassili n'Ajjer, la Tadrart en Algérie, l'Akakous en Libye, etc. Et ce depuis 20 ans.
Quelles mesures de sécurité demandez-vous à vos guides d'appliquer sur place?
Nous demandons à nos guides d'être attentif à toute "anomalie": un 4x4 qui passe en dehors des voies normales, un "étranger", etc. et de garder le contact avec les forces de l'ordre locale, de nous avertir en cas de suspicion de risque.
On ne peut pas mettre une kalachnikov derrière chaque groupe de touristes
L'an dernier, notre responsable Sahara est parti dix jours en Mauritanie pour sensibiliser et former avec la collaboration des militaires et des policiers locaux nos guides à la sécurité qui est notre préoccupation numéro Un. Mais, on ne peut pas non plus mettre un garde avec un kalachnikov derrière chaque groupe de trekkeurs. Notre métier consiste avant tout à organiser des vacances...
Dans quelles régions du monde n'allez-vous pas aujourd'hui?
Elles sont nombreuses hélas! Le Yémen, le Pakistan, l'Afghanistan, l'Irak ou le Niger font partie des destinations où nous n'emmenons personne. Certaines parties de ces pays sont pourtant magnifiques et relativement sûres à nos yeux, comme la partie tadjike de l'Afghanistan, certaines vallées du Pakistan ou le sud du Niger. Mais pour y arriver, il faut traverser des zones plus difficiles ou utiliser des transports qui n'arrivent parfois pas à destination... Donc, tant qu'on ne le sent pas, on n'y va pas.
Et si un client insiste pour s'y rendre...
Dès que l'on sentira que ces régions sont sûres à 100%, on s'y rendra. Mais aujourd'hui, la réponse est non. Pas avec nous. Nous sommes dans une démarche de tourisme responsable. [Allibert Trekking a obtenu la certification de l'Association des Tour-opérateurs Thématiques (ATT) - Agir Pour Un Tourisme Responsable (ATR), ndlr]
L'article 13 de la loi sur l'action extérieure de l'Etat vise, selon le gouvernement, à responsabiliser ceux qui se rendraient dans ces zones difficiles. Que pensez-vous de ce texte?
"L'article 13"
"L'État peut exiger le remboursement de tout ou partie des dépenses qu'il a engagées ou dont il serait redevable à l'égard de tiers à l'occasion d'opérations de secours à l'étranger au bénéfice de personnes s'étant délibérément exposées, sauf motif légitime tiré notamment de leur activité professionnelle ou d'une situation d'urgence, à des risques qu'elles ne pouvaient ignorer." Bernard Kouchner a dit viser les touristes et les agences, pas les journalistes et les humanitaires. J'ai lancé des signaux au Quai d'Orsay: nous sommes une dizaine d'agences concernées par "l'article 13" (lire ci-contre), il fallait nous demander de venir en discuter ensemble avant de faire une loi. On ne m'a pas répondu. Au nom de quoi l'Etat assurerait-il moins la sécurité de touristes pris en otage dans une zone difficile que celle d'un imprudent qui a pris la mer par gros temps et qui doit être secouru par hélicoptère?
Un irresponsable reste un irresponsable, une loi ne changera pas cela! Il nous concerne peu, car justement, nous essayons d'être le plus responsable possible. Ceci dit, je pense que ce texte est inutile car il ne concerne qu'une poignée de cas par an, comme celui du Tanit, au large de la Somalie, ou celui de Jolo aux Philippines, seul cas en 10 ans, à ma connaissance, où une agence de voyages ait été impliquée. Se pose aussi un vrai problème de fond: à quoi sert un Etat s'il n'est plus capable d'assurer la sécurité de ses citoyens, même s'ils sont un peu imprudents?

Par Marie Simon,
© Copyright L'Express

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