Contre vents et marées, le
président burundais, Pierre Nkurunziza, a opéré son forcing en briguant
un troisième mandat à la tête de l’Etat. Ni l’opposition farouche depuis
plus de deux mois, ni la pression de la communauté internationale, ni
les défections dans son propre camp, n’auront réussi à faire entendre
raison au pasteur-président qui, soit dit en passant, a échappé de peu à
un coup d’Etat. Ainsi, avant même la proclamation des résultats,
Nkurunziza est sûr de rempiler à l’issue de la présidentielle
controversée du 21 juillet dernier. Surtout avec le boycott de
l’opposition qui lui a certainement facilité la tâche.
La forfaiture est consommée
Reste
à présent les chiffres à mettre sur l’étiquette de la participation, ce
qui est une mince affaire que ses officines sont en train, à présent,
de se donner un malin plaisir à fabriquer pour apporter un semblant de
crédibilité et de légitimité au président élu. La preuve, avant même que
l’instance chargée de l’organisation du scrutin et de la compilation
des résultats, la CENI, n’ait avancé le moindre chiffre, le porte-parole
de la présidence a déjà annoncé sans sourciller un taux stalinien
d’environ 80%, malgré le faible taux de participation constaté dans les
bureaux de vote. Comme quoi, il n’est pas aisé d’être le porte-parole
d’un dictateur sans être daltonien. Dans l’après-midi d’hier, la CENI
indiquait un taux de participation situé entre 72 et 80%. Si le ridicule
tuait… Ainsi, la forfaiture est consommée, laissant sur le carreau près
de quatre-vingts macchabées et cela, à cause de l’obstination du
président burundais. Mais face au drame, Nkurunziza n’en a cure. Pour
lui, la fin justifie les moyens. Il tient le pouvoir et il n’est pas
prêt de le lâcher. Maintenant que la forfaiture est consommée, que va
faire la communauté internationale ?
En
tout cas, deux pays occidentaux, les Etats-Unis et la Belgique en
l’occurrence ont donné le ton, respectivement, en réfutant la légitimité
du scrutin qui s’est tenu dans des conditions qui ne permettent pas de
lui accorder une quelconque crédibilité, et en promettant de revoir les
termes de sa coopération. Mais tout cela reste à voir. Car la question
est de savoir si ce ne sont là que des condamnations de principe, du
bout des lèvres, ou si ces pays continueront à exercer la pression sur
Bujumbura. Est-ce que leur décision peut encore peser quand on sait que
toutes les pressions et les mises en garde n’ont pas eu pour
effet d’amener Nkurunziza à renoncer à son troisième mandat ? Au
passage, l’on déplorera le clair-obscur, voire le silence de certains
pays occidentaux comme la France, même si l’on peut comprendre qu’elle
observe cette attitude pour ne pas faire de l’ombre à la puissance
colonisatrice qu’est la Belgique. Pour ce qui le concerne, la sortie
malheureuse du Secrétaire général des Nations unies, à la veille de
l’élection présidentielle, pour en appeler à la sécurité dans les
bureaux de vote sans dire mot sur la candidature controversée de
Nkurunziza, laisse perplexe sur la capacité et la volonté de cette
institution de prendre des mesures coercitives contre le satrape de
Bujumbura. Quant à l’Union africaine (UA), qui avait pourtant été d’une
fermeté et d’une clarté inhabituelles face à la sordide manœuvre de
Nkurunziza, elle ne fait pas mieux en se réfugiant, depuis lors,
derrière un silence incompréhensible. C’est pourquoi l’on est porté à
croire qu’en bon calculateur, Nkurunziza sait que la communauté
internationale, qui représente à la fois tout le monde et personne, a
trop d’intérêts divergents pour pouvoir parler d’une seule et même voix.
Et comme les grandes puissances se livrent à une compétition entre
elles à l’échelle des nations pour l’extension de leurs zones
d’influence et le contrôle de leurs pré-carrés, là où les uns (les
Occidentaux) se retireront, d’autres (les asiatiques et les Russes)
viendront occuper le terrain, la nature ayant horreur du vide.
Les ingrédients d’une guerre civile sont maintenant réunis au Burundi
Nkurunziza
semble donc avoir une porte de sortie, et il espère sans doute qu’avec
le temps, il réussira à faire accepter le fait accompli et à rallier
d’autres partenaires à sa cause. Et comme généralement les peuples ont
la mémoire courte, s’il y parvient, dans quelques mois, l’affaire sera
oubliée. Quant à la Communauté est-africaine, l’EAC (East Africa
Community), l’on ne serait pas étonné qu’elle félicite Nkurunziza,
quitte à le pousser à la composition d’un gouvernement d’union
nationale, comme elle l’avait, du reste, déjà proposé, en vue de clouer
le bec à ses détracteurs. L’erreur pour l’opposition serait de
s’engouffrer dans une telle brèche. Mais en politique, sait-on jamais ?
Elle pourrait mordre à l’hameçon. Surtout qu’il se susurre que certains
opposants, et pas des moindres, n’y seraient pas défavorables.
Quoi
qu’il en soit, ce troisième mandat de Pierre Nkurunziza s’annonce sous
de mauvais auspices et l’on se demande comment il va gouverner, avec
tous ces exilés, ces mutins en exil qui promettent de le chasser du
pouvoir par la force, et surtout la contestation qui est loin d’être
terminée. En outre, Bujumbura vient d’ouvrir un autre front avec son
voisin rwandais qu’elle accuse presqu’ouvertement de servir de base
arrière à des généraux et autres soldats mutins burundais qui veulent le
déstabiliser. Tout cela, c’est certain, ne va pas contribuer à
décrisper une situation déjà très tendue entre les deux voisins. En
attendant la réaction officielle de Kigali, l’on peut dire que les
ingrédients d’une guerre civile sont maintenant réunis au Burundi. Tout
cela, à cause de la boulimie du pouvoir d’une seule personne.
« Le Pays »
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