lundi 19 juillet 2010

Sénégal - vent de colère en raison des délestages

Par Laurent Correau
Manifestations, port de brassards rouges, refus de payer les factures. Les Sénégalais sont excédés par les importantes coupures de courant qui frappent le pays depuis plusieurs jours. La Sénélec fournit les explications au compte-gouttes. Les politiques, eux, se sont emparés du dossier. Demain mardi 20 juillet une séance de questions au gouvernement doit permettre aux députés de demander des clarifications.
Accroupis près d’un petit réchaud à charbon, ils font chauffer l’eau pour préparer le thé. Une forte odeur d’huile mécanique flotte dans l’air mais ces trois ouvriers d’un petit atelier de Rebeuss, l’un des quartiers de Dakar, sont au chômage. « Nous sommes là, les bras croisés, à cause des délestages de la Sénélec », explique l’un d’eux.
La Sénélec (la compagnie publique d’électricité) ayant promis qu’elle ferait son possible pour garantir l’alimentation électrique pendant le Mondial de football, les Sénégalais s’attendaient à un retour des coupures à la fin de la compétition. Personne ne s’imaginait qu’elles prendraient une telle ampleur. Pas d’électricité l’essentiel de la journée. Une énergie qui ne revient que quelques heures par jour. La capitale est frappée par ces délestages mais aussi l’intérieur du pays.
Des populations victimes
Les populations payent le prix fort. Mor Gueye représente une association de consommateurs, l’ASCOSEN, à Mbacké (à180 km à l’est de Dakar). Il raconte : « On est dans le désarroi. Le soir, dormir dans les maisons est impossible, il fait trop chaud. Alors on sort dehors et on attend. Les gens causent jusqu’à 3-4h du matin et vont dormir quand le courant revient ».
Les délestages font aussi monter les prix de certaines denrées alimentaires dont la conservation devient plus difficile : « Aujourd’hui, les gens doivent acheter au jour le jour les poissons, les légumes, la viande parce que les frigos ne marchent plus. Les ménagères se plaignent parce que du coup les tarifs ont augmenté ! », explique Babacar Mbengue, le président de la convention des jeunes de Mbour ( à 80 km de Dakar, sur la petite Côte).
Même des régions épargnées par les délestages subissent leurs effets indirects. Koungheul, par exemple (à 340 km à l'est de Dakar). « Ici, explique Ousmane Ngom, un habitant, nous avons notre propre centrale électrique donc nous sommes indépendants. Mais ma femme vient de me dire que le poisson était passé à 800 francs CFA le kilo alors qu’il était à 400 francs CFA avant. Les camions frigorifiques ont actuellement plus de mal à trouver de la glace sur la route… »
L’économie durement touchée
L’économie est frappée de plein fouet par ces délestages. Le manque de courant empêche la plupart des artisans d’exercer et du coup de gagner de quoi subvenir aux dépenses quotidiennes.
« On ne peut pas travailler, on ne peut pas livrer nos commandes à cause de l’électricité ! se lamente Ndiaga Wade, le président du regroupement des tailleurs de la région de Thiès (à 70 km de la capitale). Chaque jour, il y a des coupures. Sur 24h, on a trois heures de courant ! Tous les jours sans travailler, ce n’est pas possible… » Même désarroi chez les industriels.
Certains services publics sont également déstabilisés. En période de délestage, les postiers doivent ainsi essuyer la colère des Sénégalais qui viennent retirer l’argent envoyé par un proche et doivent attendre le retour du courant pour que les ordinateurs puissent fonctionner… « A cause de la Sénélec, nos syndiqués ne peuvent pas travailler normalement, estime Pape Momar Diop, le secrétaire général de l’un des syndicats de postiers, la Synaposte. Les usagers arrivent, ils sont souvent remontés. Ils ne peuvent pas percevoir leur argent. Ils attaquent le guichetier souvent avec des propos fortement déplacés. Le guichetier est victime parce que simplement il n’a pas de courant ».
Combustible de mauvaise qualité
Les délestages sont habituels en cette période de l’année au Sénégal. Mais ceux de cet été ont pris une ampleur hors du commun. Et face à une telle crise, la Sénélec distribue les explications comme le courant : au compte-gouttes. La direction, contactée par RFI, n’a pas jugé nécessaire de s’exprimer sur les raisons de ces délestages.
Les syndicats de l’entreprise, eux, font le choix de la transparence, et expliquent que c’est un combustible de mauvaise qualité qui est à l’origine de cette chute de la production électrique dans le pays. Il a immobilisé une partie du parc de générateurs et a même provoqué des dégâts : « Ce mauvais combustible a été consommé et c’est ce qui a détérioré les machines », explique Aliou Ba, l’un des responsables du Sutelec (Syndicat unique des travailleurs de l’électricité).
« Les circuits d’alimentation, poursuit-il, ont été encrassés… les parties les plus fragiles des générateurs ont été attaquées, comme la partie injection endommagée sur certains groupes. Ce sont les groupes diesel qui sont les plus touchés à l’heure actuelle ». Selon le syndicaliste, au plus fort de la crise le déficit de production était de quelque 150 MW. Une enquête est en cours, pour évaluer si le combustible était de mauvaise qualité dès le départ ou s’il a été pollué en cours de route.
Vent de colère
La frustration des Sénégalais face à ces coupures de courant a fait se lever ces derniers jours un vent de colère sur le pays. Marches d’artisans. Brassards rouges. Manifestations de citoyens. L’une d’elles a mal tourné puisqu’elle a entraîné la mort du jeune Abdoulaye Wade Yinghou (lire plus bas). Les tailleurs de la région de Thiès disent avoir collecté 1500 factures d’électricité et affirment qu’ils ne les paieront pas. Vendredi 23 juillet, la convention des jeunes de Mbour appelle pour sa part à une « marche nationale ».
Les enjeux sont tels que la classe politique n’a pas tardé à se saisir du dossier. Ce mardi 20 juillet, une séance de questions au gouvernement doit aborder le problème des délestages.
L’opposition s’est par ailleurs déjà fendue de communiqués. Pour le directoire de l’APR, l’Alliance pour la République (le parti de l’ancien Premier ministre Macky Sall), « les mouvements spontanés qui se développent comme une traînée de poudre sur l’étendue du territoire, expriment avec éloquence l’exaspération de nos concitoyens (…). L’Alliance pour la République exprime sa solidarité agissante aux populations dans leur combat légitime pour un mieux être ».
Réaction également chez les socialistes sénégalais : «Nous ne pouvons pas accepter que le président Abdoulaye Wade et son gouvernement mettent autant de pression et de violence sur les populations du Sénégal par ces coupures intempestives d’électricité », lance la porte-parole du parti, Aissata Tall-Sall, jointe dans sa mairie de Podor (à 490 km au nord-est de Dakar) en plein délestage. « La tension monte de partout dans le Sénégal. Jusqu’à quand tiendra-t-on ? » ajoute-t-elle.
Aissata Tall-Sall reconnaît que l’électricité était déjà un problème quand les socialistes étaient aux affaires au Sénégal. Mais selon elle, il faut en revenir à la solution qu’ils avaient initiée avant d’être chassés du pouvoir : l’ouverture du capital de la Sénélec à des privés pour permettre une véritable relance de l’entreprise.

Polémique sur la mort du jeune Abdoulaye Wade Yinghou
Mercredi 14 juillet, l’employeur du jeune Abdoulaye Wade Yinghou (un homonyme du président sénégalais, Ndlr) l’envoie pour une course. Des manifestations ont lieu ce même jour à Yeumbeul (en banlieue de Dakar).
Selon un communiqué diffusé par la Raddho, la Rencontre africaine des droits de l’homme, l’employeur reçoit à 19h00 un appel du jeune homme qui lui répète par trois fois « les policiers ».
Il se rend alors au commissariat de Yeumbeul, en banlieue de Dakar à la recherche de nouvelles. Il n’y obtient qu’un rendez-vous pour le lendemain matin. On lui conseille de venir avec les parents du garçon.
C’est au cours de ce rendez-vous, explique le communiqué, que le commissaire de police de Yeumbeul annonce la mort d’Abdoulaye Wade Yinghou. Il s’interroge sur l’état de santé du jeune homme. Car la police soutient la thèse du malaise.
La Raddho dit pourtant avoir collecté un témoignage selon lequel la victime a été battue à mort et achevée à coups de crosse sur la poitrine. Abdoulaye Wade Yinghou, selon l’ONG, « a craché beaucoup de sang au commissariat de police de Yeumbeul ».
L’organisation de défense des droits de l’homme condamne ces faits et exige l’ouverture immédiate d’une enquête judiciaire indépendante. Les services de police joints par RFI ne souhaitent pas se prononcer pour l’instant.

rfi.fr

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