(Jeudi 30 Juin 2011)
Par : M. A. Boumendil
Le président soudanais Omar El-Béchir est arrivé mardi à Pékin pour une visite d’État. Il devait être question, dans ses discussions avec les autorités chinoises, des conséquences de la partition du Soudan et de l’indépendance du Sud, qui devrait être effective à partir du 9 juillet prochain. La Chine est particulièrement concernée par la question parce les échanges commerciaux entre les deux pays dépassent les 8 milliards de dollars et qu’elle s’approvisionne largement en pétrole au Soudan, alors que les principales réserves du précieux liquide se trouvent dans le Sud. Ce n’est pourtant pas ce qui a retenu l’attention des observateurs. Ce qui a été largement commenté et interprété par les médias internationaux, c’est le retard de plus d’une journée du président soudanais pour arriver à Pékin. Ce retard a été officiellement justifié par la modification du plan de vol de l’avion présidentiel. Ce que ne précisent pas les autorités soudanaises, c’est que cette modification du plan de vol est à son tour justifiée par le fait que Omar El Béchir est sous le coup d’un mandat d’arrêt lancé contre lui par la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité commis au Darfour. De fait, une escale ou le survol de certains États se situant sur sa trajectoire auraient été
périlleux pour lui. Cet incident, loin d’être anecdotique, remet la CPI au cœur de l’actualité, au moment précisément où cette institution internationale s’est illustrée par l’émission d’un mandat d’arrêt contre Kadhafi et deux de ses proches, et où l’on s’interroge si elle peut juger le président ivoirien déchu de Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo. Tout auréolée de son succès récent dans l’arrestation assez énigmatique du boucher de Sarajevo, Mladic, l’auguste cour est au mieux de sa notoriété. Elle n’est pourtant pas au-dessus de toute controverse, parce que, pour ainsi dire, nombreux sont ceux qui pensent qu’elle privilégie une catégorie de “clientèle”. Certes, le bien-fondé de l’inculpation de Omar El Béchir, Laurent Gbagbo ou Mouammar Kadhafi n’est pas volée. Elle est même largement justifiée et leur éventuelle condamnation ne serait que justice. Bon nombre de dirigeants africains, arabes, asiatiques, mais pas seulement, pourraient tout autant être de parfaits candidats à l’inculpation. Qu’il s’agisse de Omar El Béchir auquel on impute la responsabilité de deux millions de morts, de Laurent Gbagbo qui a mis la Côte d’Ivoire à feu et à sang pour tenter de garder indûment son fauteuil présidentiel ou du dictateur libyen dont le CV s’est écrit en lettres de sang, nul ne peut raisonnablement s’offusquer de leur inculpation et, éventuellement, de leur condamnation. Ce qui peut être reproché à la CPI, ce ne sont donc pas les décisions qu’elle a prises, mais celles qu’elle n’a pas osé ou qu’elle n’a pas voulu prendre. Pourquoi, par exemple, n’y a-t-il pas eu le moindre début d’enquête sur la répression sanglante des manifestations pacifiques au Bahreïn, à la fois par les forces de police locales et par l’armée saoudienne ? Pourquoi n’a-t-on jamais inquiété George W. Bush dans sa paisible
retraite texane ? Sans doute que le déclenchement d’une guerre (contre l’Irak) sur des motifs fallacieux, qui plus est sans l’aval de la communauté internationale, la destruction et l’occupation d’un pays ayant entraîné des morts par centaines de milliers, la systématisation d’interrogatoires musclés, la multiplication de prisons secrètes dignes des goulags soviétiques et le pillage organisé des richesses archéologiques de l’une des plus vieilles civilisations du monde ne sont pas des faits suffisamment graves pour évoquer, ne serait-ce qu’en filigrane, la notion de crime contre l’humanité. La logique voudrait qu’un criminel reste un criminel, qu’il dirige la plus grande puissance du monde ou une petite république bananière. Mais, cette logique-là, ce n’est pas demain qu’elle régira la justice internationale. Aussi, la CPI ne peut inquiéter que les criminels qu’elle peut. Ce n’est déjà pas mal…
liberte-algerie.com
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