mercredi 29 juin 2011

Sénégal - A Dakar, les coupures d'électricité exaspèrent les habitants

(Le Monde 29/06/2011)

"C'est devenu insoutenable, on ne peut pas vivre comme cela tous les jours." Armelle, une Camerounaise de 30 ans, qui habite Dakar depuis 7 ans, est exaspérée par les coupures d'électricité à répétition. Elle dit comprendre les manifestants qui ont incendié plusieurs bâtiments publics dans la soirée du 28 juin, notamment les locaux de la compagnie nationale d'électricité (Sénélec),
A Dakar comme dans le reste du Sénégal, le manque d'électricité n'est pas nouveau. "La demande d'électricité est plus élevée que l'offre", explique Ahmadou, un journaliste de 27 ans. Pour éviter que ce déséquilibre ne plonge la ville dans un black-out prolongé, la Sénélec procède régulièrement à des délestages, c'est-à-dire des mises hors tension volontaires et contrôlées d'une partie du réseau (qui existent également, mais beaucoup plus rarement, sur le réseau français). Ces délestages sont normalement organisés selon un planning, publié dans les journaux ou sur Internet, mais ce dernier est peu respecté, indiquent les personnes interrogées.
"Quand j'étais petit, il y avait quelques coupures, en général deux heures par jour et surtout le soir", explique le jeune homme. Mais la fréquence et la durée des coupures augmentent. "Cela fait trois jours que nous n'avons que deux heures d'électricité par jours", constate Anna, 30 ans, qui ironise : "Avoir de l'électricité toute la journée est devenu anormal." A l'approche de l'"hivernage", la saison la plus chaude de l'année (juillet à octobre), où la demande d'électricité grimpe, la situation ne semble pas prête de s'améliorer.
"NOUS VIVONS DANS LE NOIR"
Pour les Dakarois, ces coupures ont des conséquences graves. "Au travail, cela empêche les gens de travailler", constate Dimitri, agent commercial de 28 ans. La plupart des entreprises se sont dotées de groupes électrogènes. Mais ces derniers coûtent cher en carburant, et constituent un coût imprévu dans les budgets. Quant aux petits commerces, qui représentent une partie "extrêmement importante" de l'économie locale selon Ahmadou, ils "peuvent passer de la prospérité à la faillite, parce qu'en une semaine, il n'y a pas eu d'électricité et qu'ils n'ont pas pu travailler normalement".
La vie quotidienne est également touchée. "Ce matin, j'ai descendu mon sac poubelle avec le contenu de mon frigo à l'intérieur", résume Anna. Les frigos ne peuvent fonctionner normalement, pas davantage que les congélateurs. "Les aliments peuvent dégivrer et ils n'ont même pas le temps de congeler à nouveau" avant la prochaine coupure, constate Armelle. A la maison, "nous vivons dans le noir et nous nous couchons très tôt", ajoute Dimitri. Lors des fortes chaleurs, le manque d'électricité peut perturber le sommeil des Dakarois. "Il suffit que mon ventilateur s'arrête pour que je me réveille", déplore Armelle. "Les gens sont à cran", résume Anna, et "les émeutes de l'électricité" se multiplient.
INÉGALITÉS FACE AUX COUPURES
Le mécontentement est d'autant plus fort que les coupures d'électricité ne touchent pas tout le monde. Ceux qui en ont les moyens achètent un groupe électrogène, un dispositif très coûteux puisqu'il faut l'alimenter en essence. D'autres investissent dans des climatisateurs solaires et des dispositifs photovoltaïques. Mais la grande majorité de la population doit faire sans. "C'est entré dans les habitudes qu'il y ait au minimum quatre heures de coupure par jour, c'est presque acquis", constate Ahmadou, résigné.
Le jeune homme explique également que certains quartiers où se trouvent les résidences de hauts responsables de l'Etat, l'aéroport ou encore, la demeure d'un marabout influent, ne connaissent pas de délestage. "Avant, il y avait deux poids, deux mesures", reconnait Anna, avant d'expliquer que tous les quartiers sont concernés depuis un an et que de toute façon, les ministres disposent de groupes électrogènes. Mais la jeune femme remarque que le Monument de la Renaissance africaine, une statue de 52 mètres voulue par le président Abdoulaye Wade, est épargné par les coupures. Depuis sa terrasse, elle peut voir le monument: "Tous les soirs, quand Dakar est dans le noir, il est éclairé".

Thomas Baïetto
LEMONDE.FR
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