En République démocratique du Congo, la profession de journaliste subit des violences quotidiennes venant des autorités, des politiques et des chefs de guerre.
Le 21 juin 2011, Kambale Musonia, journaliste congolais de la région du Nord-Kivu, à l'est de la République démocratique du Congo (RDC), a été abattu par trois individus à bout portant. Ce meurtre vient allonger une funeste liste de journalistes assassinés en RDC, le dernier avant lui étant le militant des droits de l’homme Floribert Chebeya tué le 1er juin 2010. En quatre ans, ce sont ainsi neuf journalistes qui ont été tués en RDC, dont six dans l’est du pays, région particulièrement touchée par la guerre. Traduisant l’angoisse qui étreint la profession, le bi-hebdomadaire Congo News écrivait dans son édition du 22 octobre 2010 que «tout le monde a peur, à commencer par la presse». La RDC figure à la 148e place sur 178 du classement mondial de la liberté de la presse publié par Reporters sans frontières (RSF) en 2010.
Le calvaire de la profession
Dans son rapport de mission de 2009 intitulé «Bukavu, la cité des meurtres», RSF revient sur ces «meurtres en tout cas restés impunis, tant la police et la justice se sont acharnées à ne pas retrouver les coupables. Ou, pire encore, à remettre en liberté ceux dont tout désigne la responsabilité directe: des hommes politiques, des militaires, des trafiquants mafieux, autant de groupes violents qui font la loi au Kivu. Malgré les pressions des Nations unies, de l'Union européenne et des ONG, le gouvernement de la République démocratique du Congo et l'armée congolaise s'abstiennent de rétablir l'ordre et la justice.»
Parmi les meurtres de ces journalistes, celui de Didace Namujimbo, journaliste à Radio Okapi, la radio de la Monusco, la mission des Nations Unies au Congo. Alors que l’impunité du crime demeure, son frère, Déo Namujimbo, lui-même également journaliste à Radio Okapi et réfugié à Paris depuis mars 2009, raconte:
«Il revenait de Radio Okapi, le 21 novembre 2008 au soir. Les voisins ont entendu un coup de feu. On ne sait pas ce qu’il s’est exactement passé. On ne sait pas non plus pourquoi il a été tué. Seule la justice aurait pu découvrir le motif de l’assassinat, mais il n’y a pas de justice. Des gens sont arrêtés, mais des ordres qui viennent de haut font tourner court les procès.
Des personnes haut placées ont peur que les gens accusés se mettent à parler, alors ils empêchent les procès. Entre l’assassinat de mon frère et mon arrivée en France, j’ai fait ce que j’ai pu pour essayer de découvrir la vérité, mais j’ai reçu de nombreuses menaces, y compris des menaces de mort.»
La RDC, avec ses 2.345.000 km2, est dominée dans ses provinces par des seigneurs de guerre et autres chefs locaux. Emancipés de fait de l’autorité de Kinshasa, ces potentats régionaux imposent leur loi et sèment la terreur chez les citoyens, notamment chez les journalistes qui osent dénoncer leurs pratiques.
L’information est prise en otage
A ces dynamiques provinciales se juxtapose l’autoritarisme gouvernemental. Les journalistes critiques à l’égard du pouvoir subissent de nombreuses pressions, ainsi que l’a expérimenté Freddy Mulongo, fondateur en 1999 de Réveil FM, la première radio citoyenne et participative de Kinshasa. La radio, jugée subversive par les autorités, a été fermée en 2007 sous prétexte qu’elle brouillait les ondes de l’aéroport de la capitale. Menacé et recherché par l’Agence nationale de renseignements (ANR), Freddy Mulongo est entré en clandestinité et a été forcé de quitter le pays. Réfugié en France où il contribue à la survie de Réveil FM sur Internet, il raconte que son engagement pour le pluralisme d’opinion en tant que président des radios communautaires du Congo et ses critiques à l’encontre de la Haute Autorité des Médias (HAM) étaient vivement réprouvés par le pouvoir de Kabila:
«Il était hors de question pour moi que je donne un mot d’ordre à la radio pour inciter à voter pour Kabila. Pendant la transition, de 2003 à 2006, nous avions espéré que la HAM allait permettre la mise en place d'une neutralité de l’information. Au lieu de cela, elle est devenue un étouffoir de la liberté d’expression et opère un travail de musellement des médias. On a dénoncé son orientation joséphiste [pro-Kabila]. On a vécu de la pure répression, on nous livra à l’ANR.
Aucun organisme international n’a réagi face à cette privation des libertés. Les seigneurs de guerre ont placé des hommes à eux à la HAM. Notre combat pour la libéralisation des ondes a été récupéré par les politiques: maintenant, chaque homme politique a sa propre radio, ce n’est pas du pluralisme médiatique, l’information est prise en otage.»
Une mainmise des politiques et de la HAM sur les médias que même l’Observatoire des médias congolais (Omec), constitué de professionnels chargés du rôle de médiateur avec le public, ne parvient à alléger.
Collusions politico-médiatiques
Dès lors que la liberté d’expression est bâillonnée, la collusion entre les politiques et les médias devient inévitable et la déontologie du métier n'est pas respectée. Ainsi plusieurs journalistes sont employés dans les ministères tout en continuant leur travail au sein de leur rédaction, à l’image de Willy Kalenga, journaliste à Antenne 1 et également directeur de cabinet de Vital Kamhere. Des journalistes devenus des «thuriféraires du pouvoir», selon l’expression de Freddy Mulongo.
Dans son rapport 2010, l’organisation de défense de la liberté de la presse congolaise Journaliste en danger (JED) fait état de 87 violations de la liberté de la presse en 2010 parmi lesquels un journalistes tué, 17 incarcérés, 27 interpellés, 7 agressés, 8 menacés, 13 pressions administratives, économiques ou judiciaires et 14 entraves à la libre circulation nationale ou internationale de l’information. Le 3 mai 2011, à l’occasion de la journée mondiale pour la liberté de la presse, JED a émis certaines requêtes à l'attention du gouvernement:
«JED demande au gouvernement, à travers le ministère de l’Intérieur et celui de la Communication et Médias, d’envisager dès à présent des mesures concrètes de sécurisation des professionnels des médias face à la montée de l’intolérance politique et aux interférences de plus en plus fréquentes des services de sécurité dans le travail de la presse […]
JED constate également que plus de la moitié de ces atteintes à la liberté de la presse sont le fait des services de sécurité et particulièrement de l’Agence Nationale des Renseignements (ANR) alors qu’aucun texte de loi ne reconnaît à ces services la compétence en matière de délit de presse.»
Citons à titre d’exemple le cas de Tumba Lumembu, journaliste pour La Tempête des Tropiques, détenu pendant deux mois dans les cachots de l’ANR entre septembre et octobre 2010. Celle-ci a gardé la détention du journaliste secrète pendant quinze jours avant d’être accusée d’«outrage récurent au chef de l’Etat». Interrogé le 24 octobre 2010 par Reporters sans frontières à la conférence de presse de clôture du Sommet de la Francophonie à Montreux, Joseph Kabila a déclaré «ne pas être au courant d’un journaliste ou de journalistes qui ont été arrêtés».
Leslie Fauvel
© SlateAfrique
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