jeudi 15 juillet 2010

Côte d'Ivoire - Les ex-rebelles refusent une démobilisation sans argent

(IPS 15/07/2010)
Un mois après le lancement de l’opération d’encasernement et de démobilisation des combattants des Forces nouvelles (ex-rébellion ivoirienne) à Korhogo, dans le nord de la Côte d’Ivoire, ils déclarent ne plus y croire et refusent d’être "démobilisés à crédit".
«J’attends de recevoir mon argent de démobilisé avant d’enlever la tenue militaire parce que j’ai été démobilisé sans argent, donc à crédit; or il me faut nourrir ma famille», a déclaré, en colère, Yessoulpa Konaté, un démobilisé de 40 ans environ. IPS l’a rencontré sur le corridor ouest de l’axe Korhogo-Boundiali (nord du pays), le 5 juillet, coiffé d’un béret vert et portant une tenue militaire décontractée.
Un corridor sert à contrôler tous les usagers de la route qui entrent ou sortent d’une ville, et près d’un millier d’ex-rebelles surveillent les corridors dans leurs zones du centre-nord-ouest.
«Certains VAN (volontaires de l’armée nouvelle) ont abandonné la formation militaire du camp de Kagnasso situé à 10 kilomètres de Korhogo parce qu’ils ne perçoivent rien, même pas des primes», a ajouté Arouna Bakayoko, 20 ans environ, devenu VAN, un ex-rebelle engagé dans l’armée nouvelle et qui devrait être encaserné.
Ziégnongo Soro ex-combattant, 30 ans environ, habillé d’un pantalon militaire et d’un tee-shirt jaune du programme national de réinsertion communautaire, tient en main un stylo et un carnet de tickets de péage version Forces nouvelles, que IPS a rencontré sur le corridor de Ferkessedougou, dans l’extrême nord du pays. Il veut réintégrer la vie civile à condition d’obtenir un appui financier.
«Je n’accepte pas une démobilisation à crédit ou sans argent car je veux des moyens matériels et financiers immédiats pour m’intégrer dans la vie communautaire, sinon gérer un corridor n’est pas une fin en soit», affirme-t-il.
Un formateur du groupement d’instruction N°4 qui couvre toute la zone nord, approché par IPS à Laleraba un village frontalier avec le Burkina Faso, déclare sous anonymat désapprouver l’encasernement qu’il trouve précipité. «Je ne sais pas pourquoi en Côte d’Ivoire, on n’aime pas dire la vérité; les conditions ne sont même pas réunies et on lance l’opération».
«Les 500 éléments encasernés à Korhogo, sur un total de 1.211 ex-combattants prévus, n’ont même pas de dortoirs et sont obligés de rejoindre leurs unités d’origine. Et à cela, s’ajoute la question d’argent», souligne-t-il.
Vassiriki Kéita, un commissaire de police des Forces nouvelles (FN) au Centre de commandement intégré de Korhogo - constitué de la police, des Forces de défense et de sécurité (FDS) et des FN, explique à IPS: «Nous ne sommes pas encore sur les corridors qui sont réservés uniquement aux militaires et nous ne sommes pas encore autonomes pour la sécurité de la ville» qui leur revient «de plein droit parce que les ex-rebelles s’en sont accaparés».
Par ailleurs, la douane des FDS est absente sur les corridors et postes frontaliers, elle reste logée dans les bureaux du guichet unique à Korhogo, chargé de régulariser administrativement les motos et véhicules acquis pendant la période de guerre après la rébellion armée de 2002, a expliqué à IPS, Raymond N’da Koua, directeur du guichet unique automobile du nord de la Côte d’Ivoire. Selon lui, tant que ces ex-combattants seront sur les corridors, la douane sera limitée dans sa mission et fera très peu de recettes pour les caisses de l’Etat.
Selon les autorités ivoiriennes, le processus officiel d’encasernement et de démobilisation des ex-combattants, qui a débuté le 15 juin à Korhogo, devrait se dérouler dans les villes de Bouaké, Séguéla, et Man, respectivement dans le centre, le centre-ouest et l’ouest du pays. Mais, les conditions financières et matérielles n’étant pas réunies, cela n’avance pas normalement.
Barthélemy Coulibaly, de l’organisation non gouvernementale locale Ditiaba (qui signifie en langue Senoufo combattre l’ignorance), qui défend les droits humains, ne croit pas à la sincérité de l’opération de démobilisation lancée par les autorités. «Il n’y a aucune visibilité pour que les élections se tiennent si l’on veut s’en tenir au désarmement, la démobilisation et à l’encasernement de l’ensemble des ex-combattants de Côte d’Ivoire».
Après la démobilisation des éléments des FN, souligne Coulibaly, «il faut plancher sur le cas des miliciens des groupes d’autodéfense du sud, ceux-ci devraient remplir les conditions semblables à celles de leurs frères d’armes des Forces nouvelles. Ainsi, l’Etat de Côte d’Ivoire devra s’attendre à débourser encore assez d’argent».
Pour sa part, le général Soumaïla Bakayoko, chef d’état-major des Forces nouvelles, a évoqué, le 15 juin, le manque de moyens financiers qui risque d’hypothéquer le processus de démobilisation. «La transparence et l’honnêteté qui doivent nous animer tous, m’obligent à vous dire qu’à la minute ou je vous parle, qu’aucune ressource financière n’a été mise à notre disposition, et le succès de cette opération, qui va d’ailleurs conditionner celui des autres, nécessite le respect scrupuleux du financement du volet militaire».
L’opération s’élève à quatre milliards de francs CFA (environ huit millions de dollars), et ce sont seulement 500 millions FCFA (un million de dollars) qui ont été décaissés par le ministère de la Défense, a-t-il ajouté.
Approché par des journalistes, le général Philippe Mangou, chef d’état-major de l’armée ivoirienne, a souhaité l’unicité des caisses dans cette partie du pays. Selon lui, l’unicité des caisses devrait être réalisée «avant la démobilisation et l’encasernement des ex-combattants, dont la réussite nécessite des moyens financiers». Pour l’instant, les taxes prélevées par les ex-rebelles dans leurs zones ne sont pas reversées au trésor public.
Les Forces nouvelles disposent de 5.000 places, dont deux généraux, dans la nouvelle armée ivoirienne. Mais, la question des grades n’est pas encore réglée définitivement puisque, selon un gradé qui a requis l’anonymat, les textes ne sont pas applicables.

Aly Ouattara
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