mercredi 14 juillet 2010

Cameroun - Mort de Pius Njawe, pionnier de la liberté de la presse en Afrique

(Rue 89 14/07/2010)
Pius Njawe, un des pionniers de la liberté de la presse en Afrique francophone, est mort lundi dans un accident de la circulation aux Etats-Unis, une fin tragique pour un homme dont le combat n'était hélas pas achevé.
J'ai connu Pius dans les années 80, alors qu'il pubiait à Douala Le Messager, un hebdomadaire indépendant dans un pays, et une région, habitués jusque-là (à l'exception notable du Sénégal) à la parole unique des organes de presse officiels. Chaque numéro du Messager était soumis à une censure préalable implacable, qui faisait sauter des passages entiers d'articles ou carrément des articles entiers des pages soigneusement épurees avant d'être imprimées.
Pius Njawe avait trouvé un moyen de résister qui agacait au plus haut point les autorités : il laissait en blanc les passages supprimés, permettant à chacun de ses lecteurs de se faire une idée de l'ampleur des interdits de la semaine…
Ínterpelé 126 fois en trente ans…
En trente ans de journalisme, Pius Njawe a fréquenté la prison autant que les salles de rédaction : interpellé 126 fois, sans doute un record mondial, il a également passé plusieurs fois de longs séjours en prison lorsque son journal franchissait quelque ligne rouge du régime bêtement autoritaire de Paul Biya.
Pius Njawe, un homne à l'humour communicatif malgré les épreuves qui n'ont pas manqué dans sa vie, en particulier la mort de sa femme dans un accident de voiture -déjà-, n'a jamais baissé les bras ni transigé.
Il nous a rendu visite à Rue89 il y a deux mois, cherchant à la fois à faire venir certains de ses journalistes en stage dans notre rédaction pour mieux les former au web et à l'enquête ; Il nous avait alerté aussi sur certains scandales de la fin de règne de Paul Biya, de certaines détentions arbitraires de courtisans tombés em disgrâce, de passe-droits finissant mal…
Si l'environnement de la presse a changé depuis ses temps héroiques des années 80, avec la multiplication dans toute l'Afrique francophone d'une presse plurielle même si pas toujours très professionnelle, Pius Njawe devait toujours se battre pour la survie de son groupe de presse. Il nous confiait ses tourments, des contrats de pub annulés sous pression du pouvoir, une corruption généralisée, une économie de la presse très difficile.
« Il faut sauver Le Messager »
En décembre dernier, nous avons relayé sur Rue89 un appel de notre blogueur Théophile Koumouo, intitulé « Il faut sauver le quotidien camerounais Le Messager ». Théophile écrivait, à propos des difficultés économiques du quotidien camerounais :
« Si Le Messager meurt, c'est une part de notre rêve qui meurt avec lui. Car l'histoire de Pius Njawé et de son journal est une belle histoire, une authentique belle histoire. C'est l'histoire d'un jeune homme qui n'a pas eu la chance de faire des longues études, amoureux des lettres et d'une certaine idée de son pays, qui a lancé en 1979, dans une ville de province, Bafoussam, un hebdomadaire qui résiste depuis trois décennies.
C'est l'histoire d'un patron de presse courageux dont le journal a ouvert mon esprit et mon coeur à la cause de la démocratie et de la liberté. Je n'avais pas quinze ans, je lisais encore des trucs comme “ OK Podium ” quand j'ai commencé à lire Le Messager, ses éditorialistes remplis de talent et son regard sans concession mais plein d'amour pour le Cameroun et l'Afrique. Malgré tous les défauts qu'on peut trouver à Njawé et au Messager, il y a un côté chevaleresque dans cette aventure. »
L'aventure de Pius a pris fin lundi sur une route de Virgine, aux Etats-Unis, ou il se trouvait pour participer à un congrès d'opposants camerounais.
Les hommages se sont multipliés mercredi pour ce journaliste qui a donné ses lettres de noblesse à ce metier à une époque où les gouvernants du continent voulaient transformer les journalistes en griots vantant leurs louanges. Il a recu tout au long de sa carrière de nombreuses récompenses professionnelles.
Il est mort a la veille de ce 14 juillet africain a Paris. C'est Pius Njawe et ses semblables, symboles d'une societe civile vibrante et audacieuse, qu'on aurait aimé voir invites par la France, et pas seulement les hommes qui ont tout fait pour les empêcher de faire leur métier.
Rue89 exprime sa tristesse et sa solidarité a la famille et aux collegues de Pius Njawe.

Par Pierre Haski
Rue89
14/07/2010
© Copyright Rue 89

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire