(Afriques en Lutte 04/11/2011) NAIROBI - Les insurgés d’Al-Shabab demeurent une force puissante en Somalie, mais il n’est pas question officiellement d’envisager la possibilité de discussions pour parvenir à un règlement politique.
L’attentat suicide à la bombe qui a fait plus de 100 morts à Mogadiscio le 4 octobre a bien montré qu’Al-Shabab était parfaitement capable de frapper jusqu’au cour de la capitale, même si le groupe s’était retiré de la ville en août.
Al-Shabab contrôle une large part de la Somalie du centre et du sud, ce qui oblige les agences internationales à conclure des accords avec ses commandants afin d’atteindre les millions de personnes qui ont besoin de l’aide alimentaire.
L’autorité somalienne qui est reconnue internationalement est le Gouvernement fédéral de transition (TFG), mis en place en 2004 et dont la survie dépend de la force de stabilisation ONU-Union Africaine, l’AMISOM. La légitimité du TFG est contestée par de nombreux Somaliens, et pas seulement ceux qui sont associés aux groupes d’insurgés. Le TFG contrôle la plus grande partie de Mogadiscio et quelques autres poches de territoire en Somalie centrale et dans le sud.
Al-Shabab (dont le nom complet est Harakat Al-Shabab al-Mujahideen) est apparu en 2005 et rassemble plusieurs groupes différents dont l’histoire et les objectifs diffèrent, mais qui sont unis par leur volonté de renverser le TFG. (Pour une analyse détaillée du mouvement, de son histoire et de ses objectifs, voir Roland Marchal’s The Rise of a Jihadi Movement in a Country at War [ http://www.ceri-sciencespo.com/ress... ] , La montée d’un mouvement djihadiste dans un pays en guerre)
IRIN a discuté avec un échantillon de Somaliens, de travailleurs humanitaires, de politologues et d’observateurs, pour savoir si le fait de négocier avec Al-Shabab pourrait être un facteur de stabilisation du pays après plus de vingt années de guerre :
Laura Hammond, maître de conférences à la section Etudes du développement de l’Ecole des études orientales et africaines (SOAS) de Londres, pense qu’il est très important de parler au groupe. « Je pense que la seule option pour essayer de répondre à la situation d’urgence dans le sud, et probablement pour l’avenir politique de la Somalie, est de parler à Al-Shabab. Mais je n’irais pas mélanger les deux. Ce qui est important actuellement, c’est de négocier avec eux les questions d’accès et de distribution des services. »
Mme Hammond a indiqué qu’il était important de mener le dialogue à de multiples niveaux. « Certaines de ces discussions [humanitaires] ont déjà lieu en ce moment, dans la discrétion, et il faut leur permettre de se poursuivre, sans les influencer par des considérations politiques. »
Mark Bowden, coordonnateur résident des Nations Unies pour les affaires humanitaires en Somalie, a déclaré : « La plupart de ceux qui ont désespérément besoin de l’aide vivent dans des zones qui sont aux mains d’Al-Shabab. C’est grâce au dialogue avec Al-Shabab que certains acteurs humanitaires ont pu sauver des vies dans ces régions. En tant qu’humanitaires, notre but est d’atteindre ceux qui sont démunis, où qu’ils se trouvent. C’est notre responsabilité de parler et de discuter avec ceux, quels qu’ils soient, qui peuvent nous donner accès aux populations en crise. » Sheikh Nur Baarud, membre du Conseil somalien des Oulémas, un groupe indépendant de docteurs en loi islamique de Mogadiscio, qui a déjà par le passé proposé ses services pour ouvrir le dialogue entre Al-Shabab et le TFG, et qui collecte également des fonds pour les secours d’urgence.
« Nous essayons d’engager le dialogue [entre le TFG et Al-Shabab] depuis 2009, mais chaque fois, ils ont refusé. Alors pour répondre à votre question, non, nous n’avons pas à leur parler. Il n’y a personne à qui parler et après ce qu’ils ont fait le 4 octobre [ http://www.irinnews.org/report.aspx... ] , je ne vois rien à dire. Nul ne peut faire ce qu’ils ont fait, s’il a un minimum de compréhension de l’Islam. Ils n’appartiennent ni à l’Islam ni à l’humanité. »
Hajio Basbaas, commerçante somalienne de Mogadiscio, a dit à IRIN qu’elle aimerait voir le TFG et la communauté internationale parler au groupe. « Nous en avons assez. Ils [le gouvernement et Al-Shabab] s’affrontent depuis plus de quatre ans et je ne vois pas de vainqueur. Tout ce que je vois, c’est que nous [le peuple] nous sommes les perdants. »
Mme Basbaas a dit que durant ces quatre années, elle a perdu des amis, des parents et des biens à cause de ce conflit. « Aucun camp ne peut gagner. Parlez-vous, s’il vous plaît, et mettez un terme à notre détresse."
Le groupe est divisé, a t-elle dit, et c’est le moment de parler à ceux qui le veulent bien et d’isoler « les purs et durs et leurs amis étrangers ».
Abdulle*, un homme d’affaires de Mogadiscio qui préfère rester anonyme car il craint pour sa propre sécurité, pense que la discussion est une perte de temps et de ressources. « Ces gens ne veulent pas parler et même s’ils acceptent de parler, ils ne respecteront jamais leur parole. » Pour lui, les divisions au sein d’Al-Shabab ne sont pas significatives. « La différence entre les deux groupes, c’est comme la différence entre les oreilles des ânes. Aucune différence. »
Abdulle est favorable à l’usage de la force. « Ils sont actuellement en position de faiblesse. C’est maintenant le moment de les achever. Certes, des gens vont mourir, mais eux nous tuent tous les jours. Au moins, une fois qu’ils seront finis, nous pourrons espérer des jours meilleurs, mais tant qu’ils sont là, la Somalie ne connaîtra jamais la paix. »
Pour Mohamed*, un activiste de la société civile somalienne de Mogadiscio, ce n’est même plus une option que de refuser le dialogue. « Même si les puissances occidentales, avec leur puissance militaire, s’emparent de notre pays, Al-Shabab sera toujours avec nous. Une intervention étrangère leur conférerait probablement encore plus d’importance. »
Le gouvernement et ses soutiens occidentaux devraient parler à Al-Shabab, ne serait-ce que pour montrer aux Somaliens qu’ils font des efforts, a t-il dit. « Les gens sont en train de mourir et nous ne pouvons donc pas nous permettre d’en laisser mourir encore davantage parce que quelqu’un veut isoler Al-Shabab . seul un règlement politique pourra mettre fin à notre cauchemar. »
Il avertit les Somaliens qu’ils « rêvent » s’ils s’imaginent pouvoir écraser Al-Shabab avec l’aide des forces étrangères.
L’ambassadeur Abdullahi Sheikh Isma’il, membre du parlement qui fait partie de la commission parlementaire sur la réconciliation, a dit à IRIN que la seule façon d’avancer était de passer par le dialogue : « Le gouvernement doit être prêt à discuter avec Al-Shabab et vice-versa, il n’y a pas le choix. Notre peuple se meurt ». Selon M. Isma’il, une victoire militaire totale en Somalie est impossible. « La seule option disponible est donc le dialogue et les négociations autour d’une table ». Al-Shabab, ainsi que le gouvernement, doivent renoncer aux « positions extrêmes et aux conditions préalables ».
Les Somaliens comme la communauté internationale veulent la paix et la stabilité dans la région, et « nul ne devrait être exclus ».
Roland Marchal, directeur de recherche au Centre National de la recherche scientifique (CNRS) à Paris, a déclaré à IRIN : « La politique qui a été suivie depuis pas mal d’années a été une politique militaire : Nous allons nous débarrasser d’eux, les abattre, les tuer, les kidnapper et ainsi de suite. Mais ils sont toujours là. Cette politique est donc bien absolument contre-productive.
« Nous avons ici une guérilla. Les guérillas sont rarement résolues par des mesures militaires ; elles ont toujours des solutions politiques. Ce qui n’est vraiment pas clair avec les différentes mesures de la politique actuelle menée par les Occidentaux, c’est fondamentalement que nous n’avons aucune idée des termes politiques définis comme solution par cette politique. »
Les membres d’Al-Shabab « sont des Somaliens, presque tous. Ils ont le droit d’exprimer leurs opinions sur ce que devrait être l’Etat dans leur pays et je ne pense pas que mettre l’accent sur la dimension Al-Qaida du groupe - qui existe certes - reflète la réalité dans son ensemble, » a t-il ajouté.
« Alors, quelle est la solution ? Je ne dis pas que ce soit à Al-Shabab de fournir la solution. Ce que je veux dire, c’est qu’il faut essayer de mieux définir des termes plus réalistes pour au moins donner forme à ce qui pourrait être une solution. Après tout, les acteurs politiques sont obligés d’engager la discussion, que cela leur convienne ou non. C’est un processus qui prendra du temps. »
4 novembre 2011 par IRIN
Source : http://www.irinnews.org
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