Près de 200 millions d'Africains sont âgés de 15 à 24, et ce nombre aura doublé d'ici à 2045. La bombe à retardement est bien là.
« L'Afrique est la jeunesse du monde. Une terre d'avenir pour l'économie mondiale », a dit François Hollande à Dakar, le 12 octobre devant l'Assemblée nationale sénégalaise. Certains, comme Lionel Zinsou, un ancien de chez Rothschild, qui a exposé sa vision au président de la République avant sa tournée au Sénégal et en RD Congo, font même un parallèle entre l'Afrique de demain et la Chine d'aujourd'hui. Avec 2 milliards d'habitants à l'horizon 2050, le quart de la population active comme en Chine aujourd'hui, disait-il récemment à « Jeune Afrique », « la région deviendra forcément l'atelier et le grenier du monde ». Face à une Europe en panne, une Chine en plein freinage économique comme l'Inde ou encore le Brésil, les prévisions pour l'Afrique sont, sur le papier, impressionnantes. Non seulement le continent a plutôt bien résisté pendant la crise financière mondiale - à l'exception notable de l'Afrique du Sud -, mais il devrait poursuivre sur sa lancée avec un taux de croissance pour l'Afrique subsaharienne, selon le Fonds monétaire international, de 5,3 % en 2013 après 5 % en 2012. Au Maghreb (Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie et Tunisie), après le redressement spectaculaire de 19 % cette année au lendemain de la récession qui avait suivi les « printemps arabes », une croissance de 6 % est attendue en 2013. D'autres signes ne trompent pas. L'Afrique est le marché dans le monde affichant la plus forte progression des téléphones mobiles. A la fin 2012, six Africains sur dix avaient un appareil contre quatre sur 10 il y a trois ans. Un autre signal positif : le volume des investissements directs étrangers a très fortement progressé au cours des dernières années et reste élevé en dépit du ralentissement des derniers mois.
Et l'on peut poursuivre la liste des exemples, comme l'apparition de nouveaux dirigeants politiques décidés à lutter contre la corruption et prêts à respecter le verdict des urnes, ou l'émergence d'une nouvelle classe d'entrepreneurs. Comme en Europe de l'Est et centrale, en Amérique latine, la démocratisation est aussi en marche dans nombre de pays africains. Après la dépression post-indépendance des années 1960, après la « renaissance africaine » du milieu des années 1990, l'Afrique est-elle en train de devenir une « nouvelle frontière » pour l'économie mondiale ? Vraisemblablement pas. Le continent ressemble plus à un « Eldorado » où rivalisent les grands du XXIe siècle, Chine, Etats-Unis, Inde. Un nouveau « grand jeu » qui relègue peu à peu les anciennes puissances coloniales comme la France à un rôle économique plus secondaire. Mais à la différence de ce pays mythique d'Amérique du Sud du XVIe siècle qui aurait regorgé d'or, attirant les conquistadors, l'Afrique est - déjà -assise sur une poudrière.
En premier lieu, la croissance économique a été insuffisante pour créer des emplois, surtout pour les jeunes qui, même si les niveaux d'éducation ont progressé partout, restent souvent à l'écart de la croissance et de la mondialisation. La bombe à retardement est bien là : aujourd'hui, près de 200 millions d'Africains sont âgés de 15 à 24 ans et ce nombre aura doublé d'ici à 2045. L'Afrique deviendra bien le continent le plus jeune au monde. Ce qui, comme le soulignait récemment l'ancien président du Nigeria, Olusegun Obasanjo, lors du 12e Forum international sur l'Afrique à l'OCDE, est « à la fois un bien et un mal ». Un bien pour la croissance, un mal si rien n'est fait pour leur assurer des emplois et une éducation professionnelle. Car aujourd'hui, 60 % de ces jeunes sont au chômage, selon les estimations de l'Organisation internationale du travail (OIT). « Les jeunes peuvent aussi se révolter », prévenait Obasanjo.
Mais cette menace n'est pas la seule. La croissance économique n'est pas uniforme pour tous les 54 pays du continent, avec une différence entre les pays producteurs de pétrole et de matière première et les pays importateurs, où la progression du PIB est à peine supérieure à 1 % par an. Les investissements, surtout ceux en provenance de l'Asie, sont très largement dirigés vers la recherche et l'extraction de matières premières. Ce qui est loin de se traduire en nouvelles perspectives économiques pour la majeure partie de la population, note une étude conjointe des institutions internationales « African Economic Outlook 2012 ». Sans parler de la « malédiction du pétrole » en cas de retournement violent des cours internationaux du brut. Comme l'Amérique latine, l'Afrique connaît une véritable ruée sur ses terres agricoles d'investisseurs étrangers non seulement indiens, chinois ou malais mais aussi de fonds d'investissement du Moyen Orient ou de banquiers de Wall Street. Une ruée qui crée des tensions avec les populations locales et menacent d'aggraver la crise alimentaire. D'après un exemple cité par l'ONG Grain, au Mali, 6 % des terres cultivables sont détenues par des intérêts étrangers dans un pays qui fait non seulement face à une sécession au nord mais où, selon la FAO, 1,5 million de personnes sont sous-alimentées, soit 12 % de la population malienne.
Facteur aggravant : nombre de pays connaissent toujours des conflits graves comme au Sahel, au nord du Mali, dans la région des Kivus en RD Congo menacée par une rébellion soutenue par le Rwanda, ou encore le conflit à peine éteint entre les deux Soudan ou les flam bées de violence dans le delta du Tana au Kenya... Dans ce contexte, le salut passera-t-il par les classes moyennes ? Pour l'heure elles demeurent fragiles, avec des revenus pour une grande fraction très modestes (de 2 à 20 dollars par jour par habitant), mais leur masse pourrait atteindre les 300 millions de personnes. Certes, comme l'affirme Hélène Quénot-Suarez dans le dernier rapport annuel de l'IFRI, il n'y a pas forcément de lien avec la montée de cette classe moyenne et la démocratisation. Mais elle pourrait constituer néanmoins l'un des vecteurs de la transformation du continent. Pour cela, il faudra non seulement des réformes de structure mais aussi investir dans la jeunesse et la formation professionnelle. Ce qui coûtera cher. Selon le proverbe africain cité par Obasanjo, « il faut quatre yeux pour faire venir au monde un enfant, mais 200 pour qu'il réussisse ».
Écrit par Jacques HUBERT-RODIER
Editorialiste diplomatique Les Echos
business.lesechos.fr
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