jeudi 18 octobre 2012

Mali : "Hollande est pris entre deux feux"

(Le JDD.fr 18/10/2012)
INTERVIEW - Alors que le Conseil de sécurité de l'Onu a pressé les pays de l'ouest africain de préparer une opération pour reconquérir le nord du Mali, François Hollande répète sa détermination à lutter contre le terrorisme. Pour leJDD.fr, Philippe Hugon, chercheur à l'Iris et spécialiste du Mali, fait le point sur la situation actuelle.
Mardi, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a déclaré que l'intervention au Mali était "une question de semaines". Qu'en pensez-vous?
Cela me paraît peu réaliste. Effectivement, les politiques doivent mettre la pression en menaçant d'une intervention militaire dans un délai pas trop lointain. Mais en même temps, le Conseil de sécurité de l'Onu a donné 45 jours pour - éventuellement - autoriser l'intervention militaire, donc ce n'est pas assuré. Deuxièmement, il ne peut pas y avoir d'intervention s'il n'y a pas un minimum d'armée malienne reconstituée avec des systèmes de formation, une hiérarchie et un appui en termes d'armement... Or, on en est loin. Ensuite, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) se dit prête mais en réalité le Sénégal n'est pas d'accord, la Côte d'Ivoire et le Nigeria sont pris par leurs problèmes intérieurs. C'est un conflit extrêmement difficile contre des groupes à la fois mafieux et terroristes. Ce n'est pas du tout une guerre conventionnelle.
Cette guerre vous semble-t-elle inévitable?
Il y a toujours deux fers au feu : il faut préparer la guerre pour vouloir la paix. On est peut-être dans cette configuration. Il y a une possibilité de négocier avec les groupes touareg, à condition de faire basculer ces 5.000 hommes du côté de la paix et de la reconversion. Le jeu des négociations passe par la reconnaissance d'une autonomie plus grande des touaregs et notamment par des opportunités de réemploi, alors qu'ils n'ont pas d'autres perspectives que les armes et le contrôle de trafics de drogue. Il faut aussi les dissocier des éléments fanatiques qui sont membres du Mouvement pour l'unicité et le djihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) et d'Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi).
«Il n'y aura pas d'intervention militaire crédible sans l'Algérie» Pour l'heure, l'Algérie privilégie une solution négociée au Mali. Son rôle est-il essentiel?
Il n'y aura pas d'intervention militaire crédible sans l'Algérie. Elle est, dans son principe, contre l'intervention extérieure. L'Algérie ne veut en aucun cas retrouver chez elle le terrorisme et les groupes d'Aqmi qu'elle a bouté hors du pays. Par contre, elle peut être sensible à un argument : l'intégrité du territoire.
Qu'en est-il du rôle de la France?
Il est important car la France a quand même fortement appuyée la résolution prise au Conseil de sécurité de l'Onu. Elle est aussi la seule puissance militaire existante en Afrique - avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne - et possède donc, grâce à ces différentes bases militaires, la logistique et les possibilités de soutien. La France est également très présente dans le renseignement et, ce que l'on dit moins, des forces spéciales sont aussi infiltrées dans les groupes terroristes.
François Hollande - qui a reçu les familles des otages - refuse de lier la question de leur libération à celle de l'intervention militaire. Peut-il réellement séparer les deux dossiers?
C'est toujours un problème. D'un côté, il est très difficile pour la France d'être indifférente à ce qu'il se passe au Mali. Mais en même temps, les otages sont des boucliers humains utilisés par les groupes d'Aqmi et du Mujao pour obtenir des rançons, négocier le retrait en Afghanistan et, aujourd'hui, une non-intervention militaire au Mali. François Hollande est pris entre deux feux : défendre la vie des otages - si jamais ils étaient assassinés, ce serait évidemment une baisse de crédibilité auprès de l'opinion publique - et céder au chantage aux otages. Cela revient à enclencher un processus permanent. Quand on libère des otages, on verse des rançons; quand on verse des rançons, on permet d'acheter des armes qui permettent d'avoir d'autres otages…
«La situation s'est tendue ces derniers mois» Un membre du Mujao a proféré samedi dernier de vives menaces contre la France. Que peut-on craindre?
La crainte la plus forte est qu'il y ait de nouvelles prises d'otages de Français dans les zones sahéliennes. Ensuite, on peut craindre des actions terroristes contre des intérêts économiques ou des entreprises françaises en Afrique. Je crois qu'il y a aussi des craintes d'action terroriste en Europe. La situation s'est tendue ces derniers mois. Dans les milieux informés, on est inquiet.
Les rebelles ont pris le contrôle de la région il y a quelques mois. Comment expliquer cette dégradation de la situation?
Ils sont implantés depuis longtemps dans le nord du Mali, puisqu'ils avaient été chassés par l'Algérie. Le Mali lui-même avait une politique qui n'était pas très claire à l'époque de l'ancien président Amadou Toumani Touré (juin 2002 - mars 2012). La chute de Kadhafi - un élément de stabilité dans la région - a également joué. Les mercenaires de Libye sont venus. Les mouvements touaregs ont pris de l'ampleur et l'armée malienne n'a pas pu contrôler le territoire. La conjonction de tout cela fait qu'il y a actuellement un espace - plus grand que la France - qui n'est pas du tout contrôlé militairement.
Quelles sont les relations entre le Mujao et Aqmi?
Les recrutements ne sont pas les mêmes. Pour simplifier, Aqmi est essentiellement algérien, alors que le Mujao est composé de touaregs d'Afrique de l'Ouest. Mais ils ont énormément de connivences, liées notamment au trafic et au contrôle d'armes, et ont mené des actions communes. Souvent, le Mujao travaille pour Aqmi. Quand on dit : 'les otages sont aux mains d'Aqmi et pas du Mujao', en réalité les otages passent d'une mouvance à l'autre. Leurs liens sont devenus étroits.

Anne-Charlotte Dusseaulx - leJDD.fr
© Copyright Le JDD.fr

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire