(Le Monde 04/10/2012)
Une femme violée par des policiers a été interrogée mardi 2 octobre par un juge d'instruction de Tunis qui doit décider de l'inculper ou non d'"atteinte à la pudeur". D'après l'accusation, qui s'appuie sur le témoignage des violeurs présumés, la victime et son fiancé avaient été interpellés début septembre après avoir été surpris dans une "position immorale". Les deux agents à l'origine de l'affaire avaient alors conduit la jeune femme dans un véhicule de police puis l'avaient violée, pendant qu'un troisième tentait d'extorquer de l'argent au jeune homme.
A l'issue d'un interrogatoire de plus de deux heures mené par Mohamed Ben Meftah, les avocats de la victime se sont dits "optimistes" quant à l'abandon des poursuites contre leur cliente et son fiancé pour ce délit passible de six mois de prison. Le juge d'instruction doit décider dans les heures ou les jours à venir de "classer l'affaire ou la transférer devant le tribunal compétent".
La jeune femme de 27 ans est repartie du tribunal de première instance, le visage caché par un foulard et des lunettes de soleil, sans s'exprimer. A son arrivée, elle avait déclaré, des sanglots dans la voix : "Le monde entier me soutient. Je demande votre soutien."
"UNE AFFAIRE QUI FAIT HONTE À LA TUNISIE"
La présidente de l'Association tunisienne des femmes démocrates, Ahlem Belhadj, qui représente aussi les intérêts de la victime, a indiqué que cette dernière était dans un état psychologique "très fragile", mais restait décidée à se battre. "C'est une affaire qui fait honte à la Tunisie. Dans notre culture, même au niveau de la loi, on a tendance à rendre les victimes responsables de leur viol", a-t-elle ajouté.
Les policiers, incarcérés début septembre, risquent de lourdes sanctions, le viol avec violence étant théoriquement passible de la peine capitale en Tunisie, où aucune exécution n'a cependant eu lieu depuis plus de vingt ans. Plusieurs centaines de personnes ont par ailleurs manifesté dans la matinée leur soutien à la victime devant le tribunal, brandissant des pancartes proclamant "Bilan d'une révolution volée : femmes violées, petites filles voilées" ou encore "Violée ou voilée, faut-il choisir ?".
L'affaire a déclenché un tollé en Tunisie, où des opposants, des ONG et des médias estiment que ce dossier illustre la politique des islamistes qui dominent le gouvernement à l'égard des femmes. Le ministère de la justice avait ainsi justifié la procédure contre la femme violée, relevant la semaine dernière que la victime ne pouvait bénéficier d'une "immunité" si elle a "commis des actes sanctionnés par la loi".
Depuis l'arrivée au pouvoir des islamistes d'Ennahda après la révolution de 2011, plusieurs observateurs ont dénoncé le harcèlement de la police envers les femmes. Les Tunisiennes bénéficient pourtant encore du statut le plus moderne du monde arabe depuis la promulgation du Code de statut personnel en 1956 instaurant l'égalité des sexes dans certains domaines.
Ennahda avait déclenché un large mouvement de contestation en août en proposant d'inscrire dans la nouvelle Constitution la "complémentarité" des sexes et non l'égalité, un projet abandonné la semaine dernière.
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