(Le Figaro 16/03/2012)
INTERVIEW- Amadou Toumani Touré, le président malien, s'exprime pour la première fois dans un média étranger depuis le début de la rébellion touarègue. LE FIGARO. - Pourquoi ne suivez-vous pas l'exemple de beaucoup d'autres chefs d'État africains et ne briguez-vous pas un troisième mandat présidentiel?
Amadou Toumani TOURÉ. - Je suis le coauteur de la Constitution actuelle qui a suivi le soulèvement populaire de 1991. Les Maliens s'étaient battus dans la rue pour la démocratie. Porté au pouvoir par cette révolution du 26 mars, je l'ai remis aux civils l'année suivante dans les délais prévus comme je l'avais promis. L'objectif de la Constitution était de mettre fin au régime du parti unique et de favoriser un système d'alternance en limitant à deux les mandats présidentiels. Je me dois d'être exemplaire et de respecter ma propre parole.
Le premier tour de la présidentielle va-t-il se dérouler, comme prévu, le 29 avril alors que l'intégrité du territoire est remise en cause par le conflit dans le nord du Mali?
L'élection présidentielle peut et doit se tenir quelle que soit la situation dans le Nord. Il est important de ne pas tomber dans le piège comme cela s'est fait ailleurs sur le continent et de prétendre que la crise oblige à reporter le scrutin. Sortir des délais, c'est partir à l'aventure. Seuls 2 % de la population apparaît dans une situation de vote difficile. La crise ne doit pas déteindre sur les institutions. Quel que soit le résultat des discussions engagées d'ici là avec les rebelles, il faut qu'un président à forte légitimité puisse mener le dialogue.
Comment expliquez-vous l'émergence d'une nouvelle rébellion touarègue?
Le Mali subit les effets collatéraux de la guerre en Libye qui était devenue le magasin d'armes à ciel ouvert le plus important du monde, le moins cher et le mieux achalandé. À la chute du régime de Kadhafi, les ressortissants originaires du Mali qui avaient combattu pour l'ancien régime sont rentrés avec armes et bagages au pays de leurs ancêtres. Ces combattants aguerris sont près d'un millier. Ils sont équipés de véhicules blindés légers, d'artillerie, de canons antiaériens, de fusées SAM7, de mitrailleuses lourdes, de moyens de transmission, de munitions. Nous avons proposé d'installer ce contingent dans des zones de cantonnement en les aidant. Surarmé, le MNLA s'est jeté de manière unilatérale dans une guerre inutile.
Vous venez de perdre Tessalit, un verrou stratégique. La rébellion est-elle supérieure militairement à l'armée régulière?
Je ne suis pas sûr. Nos troupes ont quitté la garnison de Tessalit pour permettre aux civils de sortir du piège de l'encerclement par les rebelles. Le retrait s'est effectué pour des raisons humanitaires.
Que s'est-il passé le 24 janvier dans la garnison d'Aguelhok? Qui est, selon vous, responsable du massacre de vos hommes?
La garnison n'avait plus de munitions et il était impossible d'acheminer des renforts. Les soldats qui se sont battus vaillamment ont été faits prisonniers. Lorsque le MNLA a quitté les lieux nous avons découvert une tragédie. 70 de nos jeunes étaient alignés sur le sol. Les Noirs avaient les poignets ligotés dans le dos. Ils ont été abattus par des balles tirées à bout portant dans la tête. Ceux qui avaient la peau blanche, les Arabes et les Touaregs, ont été égorgés et souvent éventrés (Amadou Toumani Touré montre des photos de corps suppliciés, NDLR). C'est un crime de guerre. Je suis étonné par le silence des organisations internationales sur ces atrocités. Que dit la Cour pénale internationale? Rien. Une commission d'enquête a été chargée de remettre un dossier à la justice malienne. Le MNLA qui a revendiqué la victoire porte une lourde responsabilité, mais nous savons que le contingent le plus important du groupe était composé essentiellement de gens d'Aqmi. L'implication d'Aqmi est importante dans ce conflit tout comme celle du groupe islamiste touareg Ansar dine d'Iyad ag Ghali.
Allez-vous, malgré tout, négocier avec le MNLA?
Je n'aime pas le terme de négociation, je lui préfère celui de dialogue. En revanche, il n'est pas question d'envisager une indépendance. Il est indispensable de préserver l'intégrité territoriale du Mali, après tout peut se discuter. Je tiens toutefois à souligner que les critiques sur l'absence d'efforts en faveur du développement du Nord sont injustes. Nous y avons investi des sommes considérables en favorisant le transfert des responsabilités aux autochtones. On peut même parler sur ce point de discrimination positive en faveur des Touaregs.
Vous êtes régulièrement accusé à l'étranger de laxisme à l'égard d'Aqmi. Considérez-vous que cette guerre internationale contre le terrorisme n'est pas la vôtre?
C'est une accusation un peu facile. On a souhaité qu'on se batte contre Aqmi et on l'a fait. Nous avons donné la chasse en juin 2009 aux assassins du chef de nos services de renseignements à Tombouctou et nous avons perdu trente hommes au cours de l'opération. Nous ne sommes pas laxistes, mais nous luttons avec nos moyens qui sont limités. Nous avions sonné l'alarme dès 2006 en expliquant que seule une coopération des pays riverains du Sahara pouvait venir à bout des islamistes armés. On a malheureusement perdu six ans puisque ce n'est que maintenant que commence à se mettre en place une stratégie transnationale pour mettre en commun nos moyens de lutte.
Êtes-vous favorable au paiement de rançons pour la libération des otages?
C'est une mauvaise solution qui renforce les capacités de certains groupes, mais il ne faut pas être hypocrite. Les pressions de toutes sortes sont fortes pour obtenir la libération de personnes retenues captives dans des conditions insupportables. Je souhaite que les six otages français soient libérés le plus rapidement possible. Chaque fois que le Mali peut aider, il n'hésite pas à le faire.
Par Thierry Oberlé
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